Même s’il porte un nom souriant, le personnage qu’incarne Gary Oldman dans Tinker, Tailor, Soldier, Spy (La taupe en version française) ne doit laisser paraître aucune émotion. George Smiley est un espion de profession. Il est apparu il y a 50 ans dans Call for the DeadL’appel du mort), le tout premier roman de John le Carré. Cet anti James Bond est ensuite revenu de façon récurrente dans l’oeuvre du célèbre auteur britannique.

«Au Royaume-Uni, Tinker, Tailor, Soldier, Spy est considéré comme l’un des grands romans anglais du 20e siècle, faisait remarquer l’acteur au cours d’une rencontre de presse tenue récemment à New York. J’ai été flatté qu’on m’offre le rôle, mais il est certain que Smiley arrive déjà riche de ses incarnations précédentes. Alec Guinness a fait de ce personnage une icône!»

Gary Oldman, qui affirme être incapable d’envisager sa vie sans incarner quelqu’un d’autre le temps d’un rôle, évoque ainsi une série télévisée réalisée à la fin des années 70. Sa diffusion avait marqué les esprits en Grande-Bretagne à l’époque.

«Alec Guinness se transformait beaucoup dans cette série, souligne l’acteur. Il fait partie de mes grandes influences. Je souris toujours un peu quand on dit d’un acteur qu’il est caméléon, car à mon sens, c’est là le sens du métier. L’aspect le plus intéressant du jeu réside justement dans cette transformation d’un personnage à l’autre, d’un film à l’autre.»

Dans ce drame d’espionnage, Oldman se glisse dans la peau d’un homme introverti, qui ne laisse rien deviner de ses pensées. On le dit «espion parfait». Aussi Smiley est-il choisi pour faire enquête à l’intérieur même d’une cellule des services secrets britanniques. Une «taupe» à la solde de l’ennemi communiste s’y serait tapie. Des suspicions pèsent sur cinq collègues. En plus d’un suspense menant à une révélation finale, Tinker, Tailor, Soldier, Spy s’attarde aussi à décrire de l’intérieur le quotidien de ces gens évoluant dans un monde où l’on cultive le secret.

Pour l’acteur, dont la carrière fut jalonnée de rôles flamboyants (Sid and Nancy, True Romance et tant d’autres), il fallait ainsi miser sur la retenue. Et ne révéler des caractéristiques du personnage qu’à travers des traits subtils.

«C’est très amusant à jouer, dit-il. Nous avons beaucoup travaillé en amont pour donner à Smiley son aspect physique. Quand j’ai enfin trouvé les verres qu’il pouvait porter, tout s’est enchaîné!»

Une grande tradition


De facture élégante, Tinker, Tailor, Soldier, Spy s’inscrit dans la grande tradition du drame d’espionnage britannique. Les producteurs ont confié la réalisation du film à Tomas Alfredson, un cinéaste suédois remarqué grâce à Let the Right One In. Il signe ici son premier long métrage de langue anglaise.

«Nous décrivons la réalité d’un autre monde, fait remarquer le réalisateur. Les années 70 étant révolues depuis longtemps, nous pouvons maintenant prendre du recul pour offrir une vision plus juste, plus nuancée. J’ai notamment voulu montrer l’état de vulnérabilité et de grande solitude dans lequel ces gens étaient confinés.»

Campée en 1973, l’intrigue reflète ainsi l’état d’esprit d’une époque marquée par la rivalité entre l’Occident et les pays du bloc communiste, à commencer par la puissante Union des républiques socialistes soviétiques.

«Les rapports de force ne sont plus du tout les mêmes aujourd’hui, fait valoir le cinéaste. Les services secrets au service des gouvernements sont tributaires d’un état d’esprit lié à une époque précise. L’impact qu’a leur histoire sur les spectateurs évolue selon la distance temporelle qui existe entre les deux. Par exemple, la version présentée aux spectateurs à la fin des années 70 misait principalement sur un sentiment nostalgique envers les grandes institutions britanniques. Cela correspondait à l’époque. Près de 40 ans plus tard, les valeurs humaines sont plutôt mises à l’avant-plan. La guerre froide ne sert pratiquement plus que de décor. C’est une toile de fond.»

Un rôle de soutien pour Colin Firth

Une prestigieuse distribution a été réunie autour de Gary Oldman. John Hurt, Colin Firth, Tom Hardy, Ciarán Hinds, Mark Strong et Kathy Burke sont en outre de la partie. Colin Firth, lauréat de l’Oscar du meilleur acteur cette année grâce à The King’s Speech, aime se fondre dans une distribution d’ensemble.

«C’est très intéressant à jouer, commente-t-il. À moins que le spectateur n’ait jamais lu le roman, il connaît déjà l’identité de la fameuse taupe au sein du groupe. Mais cela ne gâche rien à mon sens. L’intérêt du film se situe plutôt dans l’étude de caractères. À cause du métier qu’ils exercent, ces gens deviennent réfractaires à toute intimité. Leur solitude est profonde. Ils ne peuvent faire confiance à qui que ce soit.

«C’est quand même drôle, poursuit Firth. J’ai campé mon tout premier rôle au cinéma il y a plus de 25 ans dans Another Country. J’y jouais le rôle d’un jeune journaliste qui avait du mal à gérer son homosexualité et devenait espion. À une époque où l’homosexualité était illégale, plusieurs gais dans le placard, habitués de mener des doubles vies, étaient recrutés par les services secrets. Ils étaient d’excellents candidats!»

_______________________________________

Tinker, Tailor, Soldier, Spy (La taupe en version française) prend l’affiche vendredi.

Les frais de voyage ont été payés par Films Séville (Focus Features).