Chaque semaine, Nathalie Collard rencontre une personnalité qui s'est retrouvée au premier plan médiatique et lui pose 10 questions en lien avec la couverture dont elle a été l'objet. La 11e question provient du public.

Cette semaine, notre journaliste s'entretient avec Philippe Falardeau, dont le film, Monsieur Lazhar, inspiré d'une pièce de la dramaturge Evelyne de la Chenelière, est en nomination pour l'Oscar du meilleur film en langue étrangère.

Maintenant que la nomination aux Oscars est annoncée, dans quel état d'esprit êtes-vous?

Dans toute cette attente, il y avait deux chemins possibles: celui du travail, des projections, des entrevues, et l'autre, de me dire: je n'y crois pas, ça n'arrivera pas. C'était une bataille interne épuisante. Je sens l'énergie revenir et je me ressource en ouvrant mon courrier et en payant mes factures.

Est-ce que l'aventure internationale vous tente?

Elle a commencé avec La course autour du monde. Puis avec mon premier documentaire, Pâté chinois, qui traitait d'une manière fantaisiste de l'immigration chinoise. Mon film Congorama a été tourné en Belgique et, pour Monsieur Lazhar, je suis allé en Algérie. Mon cinéma est tourné vers l'extérieur. Quant à la possibilité d'aller tourner des films à gros budget aux États-Unis, je dirais que ça dépend du scénario. Quand je tourne un film, ça doit partir de moi. J'écris mes propres scénarios et je travaille avec mes producteurs, alors peu importe ce que je fais, ça restera toujours un film du Québec, du Canada.

On voit toutes sortes de choses dans votre film: une critique du système d'éducation, une critique des accommodements raisonnables... Que dit votre film sur le Québec?

Ce que je voulais surtout dire, c'est qu'on essaie de tout codifier, d'avoir un protocole pour toutes les situations de la vie. Or, on ne peut pas tout prévoir. Quand on va en Asie ou en Amérique du Sud, on réalise à quel point ce désir dans nos sociétés de tout planifier relève de la névrose. En zoulou, le mot «futur» n'existe même pas, c'est dire. Je voulais donc parler de cette règle qui dit qu'on ne doit pas toucher les enfants pour prévenir des actes de violence ou d'agression sexuelle mais que, ce faisant, on prive peut-être des enfants de gestes affectueux lorsqu'ils en ont besoin. Ce n'est pas le sujet principal du film, mais c'est une de ses dimensions qui me touchent.

Est-ce que vous avez eu un monsieur Lazhar dans votre vie?

Monsieur Lhazar, c'est d'abord le personnage d'Evelyne de la Chenelière. Ensuite, c'est un assemblage de plusieurs enseignants que j'ai connus. En conférence de presse, j'ai parlé de mon professeur du secondaire Jacques Carbonneau, qui avait utilisé un album d'Astérix pour nous enseigner l'histoire. Il y a aussi eu ma prof d'anglais, Mme McCloud, qui m'a forcé à continuer en anglais enrichi même si je trouvais ça difficile. C'est grâce à elle si je peux m'exprimer parfaitement en anglais aujourd'hui, et j'ai donc nommé un des personnages du film en son honneur.

Est-ce aussi difficile qu'on le dit de faire des films au Québec?

C'est beaucoup plus facile pour un cinéaste indépendant au Québec qu'aux États-Unis, où, lorsqu'on est à l'extérieur des grands studios, il faut aller chercher des fonds privés pour produire un film. Ici, on a un bel équilibre entre les films commerciaux et les films d'auteur. Le système n'est pas parfait, mais il fait quelque chose de bien. Bien sûr, faire un film est un long processus (Monsieur Lhazar a été refusé par les deux organismes la première fois), mais si on lâche, le système n'aura pas pitié.

Qu'est-ce qui distingue la génération de cinéastes dont vous faites partie des autres générations?

Nous avons trouvé une maturité dans le choix de nos sujets et nous maîtrisons mieux le médium. Quand on revoit certains films québécois, on constate que, techniquement, pour la plupart, ils ont mal vieilli. Bien sûr, il y a des exceptions - je pense au film Les ordres, par exemple, qui a très bien vieilli. Aujourd'hui, je dirais que nous sommes arrivés à un heureux mélange entre les sujets et la technique. Mais il faudrait avoir cette conversation à nouveau dans 15 ou 20 ans, pour voir si mes films ont eu une pérennité.

Quel conseil donnez-vous aux jeunes cinéastes?

Il faut se concentrer sur le film qu'on veut faire et ne pas penser aux concours. Il ne faut pas s'attendre à ce qu'on vous offre un film sur un plateau d'argent, ça n'arrivera pas. Il faut aussi se demander pourquoi on filme et, enfin, il faut savoir où placer sa caméra.

Une nomination aux Oscars apporte beaucoup de visibilité. Si vous aviez le choix, avec quel acteur de l'extérieur du Québec aimeriez-vous travailler?

Ryan Gosling, Kate Winslet, Natalie Portman, Viggo Mortensen... Des gens de ma génération avec lesquels je pense avoir des affinités.

Les jeunes cinéastes sont souvent diplômés en cinéma et souhaitent faire leur premier film dès leur sortie de l'école. Vous avez une formation en sciences politiques; qu'est-ce que ça change dans votre expérience de cinéaste?

Quand on me demande quelle école de cinéma je recommande, je dis toujours aux gens: suivez d'autres cours en plus des cours de cinéma. Philosophie, littérature, droit, histoire... Moi, j'ai suivi des cours sur l'Antiquité grecque! Si on ne veut pas rester en surface, si on veut pouvoir aller en profondeur, il faut une culture, des connaissances.

Quel héritage avez-vous gardé de La course autour du monde?

Si je n'avais pas fait la course, on ne serait pas en train de se parler. J'ai tout gardé. Ça m'a appris à m'intéresser à l'autre. J'ai aussi appris à faire des films caméra à l'épaule. Ça ne paraît pas mais dans Monsieur Lhazar, 75% des plans sont à l'épaule. La course nous demandait de donner notre point de vue sur le monde, et aujourd'hui je fais des films de point de vue.

FACEBOOK, de Marie-Pierre Duval

Allez-vous faire d'autres documentaires?

Le documentaire est la plus belle forme de cinéma qui soit, sauf qu'on a beaucoup moins d'argent pour le faire et pas beaucoup de reconnaissance publique ni d'espace médiatique. Quand on est devant un bon documentaire, on est devant une forme supérieure de cinéma. Mais le documentaire prend beaucoup de patience, et c'est un contrat moral avec les gens qu'on filme et qui vivent un drame. Je préfère la fiction: les personnages ne t'appellent pas le soir si ça ne va pas... Pour que j'en refasse, il faudrait un alignement des astres, mais, je le répète, il y a un déséquilibre entre l'attention qu'on porte à la fiction et celle qu'on porte au documentaire. Or, le documentaire, c'est la mémoire du passé, comme le dit si bien Patricio Henriquez.