Après s'être tournés autour pendant des années, Carole Bouquet et André Téchiné ont trouvé le projet de film grâce auquel ils ont enfin pu se rencontrer. Impardonnables est l'un des plus beaux bonheurs professionnels jamais vécus par l'actrice.

Elle est amoureuse. De l'Italie surtout. Follement. Au point où, au fil de ses quelques décennies de carrière, elle a tourné une dizaine de films dans la patrie de Fellini. «Parfois même de très mauvais!», lance-t-elle de façon très affirmée, le sourire ravageur en prime. «J'ai accepté de jouer là-bas dans des films que je n'aurais jamais accepté de faire en France. Parce que c'était l'Italie. Et que j'aime ce pays. C'est complètement irrationnel!»

Carole Bouquet passe même le plus de temps possible dans son pays d'adoption. À Pantelleria, un petit îlot volcanique perdu entre la Sicile et la Tunisie, elle a remis en état des terres abandonnées qui, aujourd'hui, produisent un vin qu'elle a nommé Sangua d'oro. «Parce que c'est mon sang, explique-t-elle. C'est un rapport très étrange. J'y mets beaucoup d'énergie, mais cela n'a rien à voir avec mon métier. Ça, c'est moi. Je porte l'entière responsabilité de la qualité de ce vin. Si j'avais su auparavant le travail de représentation que la viticulture exige, notamment auprès des chefs des grands restaurants, peut-être ne l'aurais-je pas fait.»

Elle n'aime pas Venise plus particulièrement que les autres villes d'Italie («Je connais mieux Rome», dit-elle), mais le fait que l'intrigue d'Impardonnables se déroule dans la Cité des doges n'a fait qu'accroître son envie de participer à l'aventure.

«Cela dit, c'est quand même l'idée de travailler enfin avec André Téchiné qui m'a enthousiasmée au départ. André fait du cinéma. Cela semble facile à dire comme ça, mais en réalité, c'est rare. Il fait partie de ces cinéastes qui savent mettre de la poésie et du lyrisme dans le quotidien. Il est près de l'âme humaine. À ce niveau, le cinéma est un mode d'expression aussi important que la peinture ou la musique. C'est un art. Et André est un véritable artiste.»

Portrait de femme

Dans Impardonnables, une libre adaptation d'un roman de Philippe Djian, Carole Bouquet incarne Judith, une Française installée à Venise, qui exerce le métier d'agent immobilier. Débarque un jour du vaporetto Francis (André Dussollier), un écrivain français en quête non seulement d'inspiration, mais aussi d'un logement. Elle insiste pour lui faire visiter une maison isolée sur l'île de Sant'Erasmo. Subjugué par cette femme, l'écrivain offrira à cette dernière un marché plutôt inhabituel. Francis acceptera en effet de louer la maison, à la seule condition que Judith consente à emménager avec lui. Ce qu'elle accepte.

La situation se complique le jour où la fille de Francis (Mélanie Thierry) débarque à son tour. Et disparaît mystérieusement.

«André dessine toujours de très beaux portraits de femmes, observe Carole Bouquet. Ce film est un hommage aux femmes, à vrai dire. En tant qu'actrice, je me suis sentie très libre sur ce tournage. C'est-à-dire que je n'avais aucune inquiétude à propos de la façon dont j'allais être filmée. Quand on se sent en mesure d'accorder sa confiance à un cinéaste de cette façon, on peut lui permettre une liberté qu'on ne laisserait pas à d'autres.»

André Téchiné (Les roseaux sauvages, Ma saison préférée, Les témoins) a marqué le cinéma français des 35 dernières années. Il a en outre développé une relation professionnelle féconde avec quelques comédiennes, parmi lesquelles son actrice fétiche Catherine Deneuve, avec qui il a tourné six films. Carole Bouquet fait ainsi son entrée dans l'univers d'un cinéaste qui aime explorer différentes facettes d'une même actrice.

«Mais le prochain film d'André ne mettra en scène que des hommes, fait-elle remarquer. Il faudra peut-être attendre le suivant!»

Savoir oser

Révélée à l'âge de 18 ans grâce à Cet obscur objet du désir, de Luis Buñuel, l'actrice, aussi James Bond Girl au début des années 80 (For Your Eyes Only), aura mis du temps avant d'éprouver un sentiment de maîtrise dans l'exercice de son métier.

«Au début, j'étais dans un état de terreur. D'ailleurs, je ne me souviens de rien du film de Buñuel tellement j'ai eu peur! C'est très étrange. On est jeune, on est animé d'un désir d'expression, et même si ça nous rend malades, on parvient à faire les choses. Sans trop savoir pourquoi. Et cela dure pendant des années comme ça. Puis un jour, ce fut l'éclaircie. C'était sur le plateau d'un film de Werner Schroeter, Le jour des idiots. J'ai vu dans le regard des techniciens une approbation de mon travail d'actrice. Et je me suis mise à avoir moins peur. J'ai alors compris qu'il fallait oser.»

Le théâtre occupe aussi une place importante dans la vie de Carole Bouquet depuis maintenant plusieurs années. Elle avoue une passion sans bornes pour Racine, dont l'écriture est si riche «qu'on n'en arrive jamais au bout».

«Encore là, j'avais tellement peur au début que j'en étais mauvaise!, s'exclame-t-elle. Tout a commencé à changer au bout d'un mois de représentations d'une pièce d'Harold Pinter. J'ai alors commencé à sentir le public. Et j'ai pris plaisir à le suivre. Aujourd'hui, je suis bien sur scène. Je m'y sens protégée du monde. Mais que peut-il arriver de si grave? Un trou de mémoire? Un faux pas? Et alors? À part une blessure d'orgueil, cela n'a finalement pas beaucoup de conséquence. Aujourd'hui, je n'ai plus le trac. Et parfois, je m'en inquiète un peu!»

Ayant envie «d'aventures exceptionnelles» du genre de celle qu'elle a vécue sur le plateau de Téchiné, Carole Bouquet s'apprête à jouer bientôt Médée au théâtre. Elle a aussi tourné Mauvaise fille, le premier long métrage de l'acteur Patrick Mille.

Impardonnables prend l'affiche le 10 février. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.