Parmi ses multiples alter ego, le comédien et humoriste britannique Sacha Baron Cohen compte Ali G, intervieweur rappeur abruti, Borat, journaliste kazakh abruti, et Brüno, reporter de mode abruti (tous révélés par son émission Da Ali G Show).

Voilà que s’ajoute l’amiral général Aladeen, dictateur abruti de la république fictive de Wadyia, en Afrique du Nord. Il s’agit du personnage central de The Dictator, nouvelle comédie – et première fiction – du tandem Baron Cohen-Larry Charles (réalisateur de Borat et de Brüno), à l’affiche mercredi.

L’amiral général Aladeen n’est pas qu’un abruti. Il est aussi raciste, misogyne et antisémite. Une matière première de choix pour un humoriste aussi politiquement incorrect que Sacha Baron Cohen.

Cette comédie scénarisée par Baron Cohen avec Alec Berg, Jeff Schaffer et David Mandel (trio derrière Brüno et Borat, mais aussi Seinfeld et Curb Your Enthusiasm) cultive savamment le mauvais goût.

The Dictator est à la fois une satire politique et une grosse farce scatologique qui tire sur tout ce qui bouge : les Chinois, les Noirs, les Juifs, les femmes, les dictateurs, les Américains... En se moquant à la fois de la culture de répression des régimes dictatoriaux et des préjugés des Américains envers « les Arabes ». Quand ce n’est pas du mode de vie américain lui-même.

Le tout à travers le parcours de ce despote mégalomane, porté au pouvoir à l’âge de 7 ans, qui collectionne les Hummer en or et les prostituées, et qui se retrouve, du jour au lendemain, à travailler dans une épicerie bio de Brooklyn, victime d’un coup d’État à la veille de s’adresser aux Nations unies.

Une prémisse pour toutes sortes de quiproquos, de situations absurdes et d’occasions d’abuser, avec un mauvais goût consommé, de toutes les déclinaisons comiques possibles d’une tête sectionnée. Ce qu’on ne ferait pas pour un gag.

Dictateur jusqu’au bout

Lundi, à l’hôtel Waldorf Astoria de New York, Sacha Baron Cohen a rencontré la presse internationale, dans son personnage de dictateur, afin de répondre à des questions qui lui avaient été acheminées au préalable. Une conférence de presse doublée d’une performance artistique, tout à fait dans le ton de ce film par moments très drôle, qui n’épargne personne.

« Bienvenue aux diables des médias sionistes », a d’emblée déclaré le dictateur, entouré de plantureuses gardes du corps et de deux douzaines de « sympathisants », pancartes à la main, sur lesquelles on pouvait lire « Give Persecution a Chance ! »

L’amiral général Aladeen s’est ensuite lancé dans une tirade en appui aux « victimes innocentes d’une tragédie mondiale » : les dictateurs... « Ces braves leaders sont victimes de brutalité quotidienne pour le supposé crime de corruption, d’oppression de leur peuple et d’un tout petit peu de génocide. »

Le dictateur imaginé par Baron Cohen considère que le printemps arabe est l’une des « grandes tragédies » de notre époque. « On montre la porte à Moubarak, dit-il. Maintenant, ses maîtresses et lui doivent vivre avec le maigre milliard qu’il a volé au peuple. Comment sont-ils censés sortir au restaurant et aller en vacances ? »

Messages subversifs

Sacha Baron Cohen, diplômé en histoire de l’Université de Cambridge, ne rate pas une occasion, à travers son nouveau personnage, de transmettre ses messages subversifs.

« De la part de mon cher ami et partenaire de double au tennis, le président al-Assad de Syrie, j’aimerais remercier les Nations unies de leur brave inaction en Syrie. Treize mois et toujours pas de résolution du Conseil de sécurité ! Vous êtes incroyables. Vous n’avez pratiquement rien fait pour le peuple syrien. »

Le dictateur a déclaré être venu à New York pour visiter l’hôtel où on a soupçonné Dominique Strauss-Kahn d’avoir agressé sexuellement une femme de chambre, acheter des beignes Krispy Kreme pour Kim Jung-un et transmettre un message essentiel : la démocratie n’a aucun sens. « La preuve, dit-il, c’est que tous les votes comptent, peu importe que ce soit celui d’un Noir, d’une femme ou d’un handicapé. »

Son candidat préféré à la présidentielle américaine ? « Rick Santorum, malgré ses idées de gauche. Mais comme il n’est plus dans la course, je dirai Mitt Romney. Il a tout pour devenir un grand dictateur : il est très riche et ne paie presque pas d’impôt. »

Ses films hollywoodiens favoris ? « J’aime beaucoup le cinéma fantastique américain. En particulier The Lord of the Rings et Schindler’s List. Ahmadinejad et moi avons étudié au même Institut de négation de l’Holocauste. Mel Gibson en était le directeur... »

Holocauste

Sacha Baron Cohen, qui vient d’une famille juive orthodoxe et loge à gauche sur l’échiquier politique, se sert abondamment de l’Holocauste pour nourrir son humour empreint d’une féroce ironie.

Lorsqu’un journaliste lui dit qu’il vient d’Allemagne, son dictateur ajoute : « C’est un pays qui m’inspire beaucoup... » Et lorsque le même journaliste, jouant son jeu, lui demande s’il croit être un dictateur plus dangereux que Hitler, il répond, en marquant une pause : « 
Excusez-moi, je suis ému. C’est une chose d’être qualifié d’hitlérien. Mais d’être inclus dans une question avec lui est un honneur. »

Le jeu s’est poursuivi avec d’autres. Une journaliste d’Afrique du Sud s’est fait dire que son pays avait aussi « un bel historique ». Une journaliste russe a reçu des félicitations pour l’élection de son « dictateur ». Et un journaliste israélien a provoqué cette question d’Aladeen, qui le visait avec un fusil en or : « Combien y a-t-il de Juifs dans cette salle et avons-nous assez de sacs pour les transporter ? »

Un spectacle d’humour à haute teneur subversive, qui s’est terminé par cette déclaration aux journalistes : « Mort à l’Occident ! Amusez-vous bien. Nous avons des Rolex pour vous, ainsi que des prostituées. Ou de jeunes garçons, si vous êtes du Canada. Et tant que vous écrivez de bonnes critiques, vos familles seront libérées. »

On aura été avertis !

Les frais de voyage ont été payés par Paramount Pictures.