Samedi, l'actrice indienne Shilpa Shetty devrait paraître en cour pour répondre de ses actes. Son crime? Avoir été embrassée sur les joues par Richard Gere lors d'un événement public. La star de Bollywood, tout comme l'acteur de Hollywood, pourraient écoper de trois mois de prison pour «grossière indécence». L'Inde est-elle en train de renier son célèbre Kama Sutra?



Novembre 2006. Pendant cinq longues minutes du blockbuster indien Don, la superstar Karina Kapour, moulée dans une robe en paillettes dorées ultracourte, se trémousse à l'écran. Elle fait tantôt la lionne sur un lit avant de se rouler sur un tapis de fourrure. Ses poses sont plus suggestives les unes que les autres. Le public indien a adoré.

Résultat : le film a récolte plus de 100 millions US au box office indien. La scène lascive n'avait rien de nouveau. Dans la première version du film Don, en 1978, la danseuse Helen avait elle aussi exécuté avec brio la danse de la séductrice, tentant de gagner le cour du bandit Don.

Avril 2007. Très actif dans la lutte au SIDA, l'acteur Richard Gere veut remercier l'actrice Shilpa Shetty d'avoir participé à un événement de sensibilisation à New Delhi. Devant 4000 camionneurs, cibles de la campagne, il prend l'actrice dans ses bras avant de l'embrasser plusieurs fois sur la joue droite. La jeune femme en sari, visiblement déstabilisée, rit nerveusement.

Une semaine plus tard, un juge de la ville de Jaipur, au Rajasthan, émet un mandat d'arrestation à l'endroit des deux vedettes et qualifie le baiser de «hautement érotique». Des manifestants brûlent des photos des deux acteurs. «Jusqu'à quel point une femme peut-elle se dégrader parce qu'on la paie pour paraître en public ?» scande un porte-parole du parti nationaliste hindou, le BJP.

Comment expliquer la tolérance des Indiens à l'égard de Mme Kapoor et la colère causée par de maladroits baisers sur la joue ?

Richard Gere y perd son hindi ! Après avoir minimisé les critiques émanant du pays de Gandhi, la vedette masculine de Pretty Woman et de Shall We Dance? s'est excusé en public au début de la semaine. «Mon intention n'a jamais été de choquer mes amis indiens», a-t-il dit en conférence de presse, admettant avoir mal interprété la culture du pays.

Pourtant, M. Gere est un initié. Bouddhiste, grand défenseur de la cause tibétaine, il se rend régulièrement en Inde depuis 20 ans. Il y a mis sur pied une fondation qui, en plus de promouvoir les droits du peuple tibétain, fait la promotion des droits de l'homme et de la lutte contre le SIDA en Asie du sud.

Comment a-t-il pu se mettre ainsi les pieds dans les plats ?

Vu comme un symbole ultime de la culture occidentale, le baiser en public est illégal en Inde depuis l'accession du pays à l'indépendance en 1947. Toléré pendant la période coloniale britannique, le baiser a aussi été expulsé du grand écran en 1952.

L'industrie du cinéma indien, plus prolifique que celle des États-Unis, a trouvé mille manières de raconter des histoires d'amour sans que les protagonistes n'aient à échanger de salive. Les scènes de danse remplacent les moments d'intimité entre deux acteurs dans la culture occidentale du cinéma. «Les numéros de danse suivent des règles bien établies et par conséquent, ne scandalisent pas. Mais le baiser en public est une forme de sexualité qui n'a pas une longue histoire en Inde», croit Tejaswini Niranjana du Centre pour l'étude de la Culture et de la Société à Bangalore, dans le sud de l'Inde.

Mais les temps changent. Depuis les années 90, deux Indes ont émergé. La première, traditionnelle, englobe les campagnes (80% de la population) ainsi qu'une bonne partie de villes.

Mais avec la croissance économique rapide des dernières années, une classe moyenne, urbaine, branchée sur le reste du monde, s'impose aussi. Des jeunes diplômés universitaires qui font cinq fois le salaire de leurs parents ont investi les villes. Ils fréquentent les bars, les boîtes de nuit et aiment s'habiller à l'occidentale.

On peut les voir se tenir la main en marchant sur le bord de l'eau à Bombay. Il n'y a pas un mois qui passe sans qu'un magazine sérieux publie les résultats d'une enquête sur la sexualité de cette nouvelle jeunesse.

Les réalisateurs de Bollywood, en partie issus de cette génération, osent de plus en plus à l'écran. À la fin de 2006, dans le film Dhoom 2, la reine du cinéma indien, Aishwarya Rai embrasse un autre acteur. Comme dans la saga Gere-Shetty, l'Inde traditionnelle n'a pas tardé à rétorquer. Une plainte, toujours en suspens, a été déposée contre Dhoom 2, mais le film a aussi récolté les plus grosses recettes de l'histoire du cinéma indien.

«Les poursuites judiciaires reflètent la tension qui existe en ce moment en Inde entre les mours modernes et l'opinion publique plus traditionnelle qui croit que la démonstration d'affection en public est vulgaire et foncièrement, non-Indienne», conclut Anita Ramasastry, professeur à l'école de droit du l'Université de Washington.