Alors que le débat sur la diversité et l'appropriation culturelle fait rage au Québec, Warner Bros. lance en grande pompe cette semaine le film Crazy Rich Asians, avec une distribution (presque) entièrement composée d'interprètes d'origine asiatique. Une rareté à Hollywood, où l'on a l'habitude de filmer plus blanc que blanc. Décryptage d'un véritable phénomène.

Les auditions

Crazy Rich Asians est une comédie romantique basée sur le roman à succès de l'auteur de Singapour Kevin Kwan et réalisée par le cinéaste Jon M. Chu. Le réalisateur sino-américain a lancé en janvier 2017 des auditions à l'internationale, en diffusant un message vidéo en ligne pour dénicher tous les interprètes des rôles principaux du film. L'appel était ouvert à tous les acteurs asiatiques de la planète. Une rareté à Hollywood, surtout pour un film avec un gros budget de plus de 30 millions US. Le New York Times rapportait que dans le top 100 des séries et films américains sortis en 2016 et 2017, environ les deux tiers n'ont pas un seul acteur asiatique au générique.

Une distribution de divers horizons

La réponse aux auditions ouvertes a été au-delà des espérances du cinéaste. Non seulement Crazy Rich Asians a une grosse distribution d'acteurs asiatiques de divers pays, mais la distribution ratisse large: interprètes chevronnés (dont Michelle Yeoh), animateur de télévision (Henry Golding), artistes de rap (dont Awkwafina), humoristes, mannequins...

Une rareté

«Pourquoi a-t-on attendu aussi longtemps pour avoir une distribution comme celle-là?», demandait le New York Times qui a consacré une dizaine d'articles au film depuis deux semaines. En effet, il faut remonter à une vingtaine d'années pour trouver une superproduction hollywoodienne mettant en vedette des acteurs asiatiques. On pense à Tigre et dragon (2000) ou The Joy Luck Club (1993). Plus récemment, il y a eu Memoirs of a Geisha, en 2005, mais ce film au budget plus modeste a été réalisé par un Blanc (Rob Marshall), alors que Crazy Rich Asians est l'oeuvre d'un cinéaste américain d'origine asiatique qui a eu carte blanche d'un producteur majeur. De plus, Geisha avait aussi été critiqué à l'époque pour utiliser des acteurs chinois dans des rôles de... Japonais.

Un cercle vicieux

«Le milieu dit que c'est dur de trouver un bon acteur américano-asiatique pour jouer à Broadway ou à Hollywood», dit Constance Wu, qui a décroché le rôle principal de Rachel Chu dans Crazy Rich Asians. «C'est très insultant et surtout faux. La raison, c'est peut-être que ces acteurs n'ont pas d'agents influents, et que les agents ne les recrutent pas parce qu'il n'y a pas assez de rôles pour eux. Mais ça ne veut pas dire qu'ils n'existent pas.»

Photo fournie par Warner Bros.

Constance Wu et Henry Golding dans Crazy Rich Asians

Le whitewashing

Longtemps, Hollywood a filmé plus blanc que blanc. Or, depuis quelque temps, les communautés minoritaires au Canada et aux États-Unis n'acceptent plus les conventions (ou les pirouettes dans les scénarios) permettant à des acteurs blancs, souvent des vedettes, d'interpréter des personnages d'origines différentes. À leurs yeux, cela ne passe tout simplement plus en 2018. Pour se faire une idée de l'évolution des mentalités à Hollywood, il faut (re)voir des longs métrages réalisés il y a 30, 40 ou 50 ans, tels que Soul ManLa petite maison de thé avec Marlon Brando, Guru Maurice avec Mike Myers ou encore Breakfast at Tiffany's. Dans ce dernier film, réalisé par Blake Edwards en 1961, le voisin d'Audrey Hepburn est un photographe japonais joué de manière très caricaturale par Mickey Rooney. Aujourd'hui, son interprétation dans ce classique du 7e art fait partie du top 10 «des personnages racialement offensants» dans l'histoire du cinéma américain, selon le site WatchMojo.

La réception

Sorti il y a à peine cinq jours, Crazy Rich Asians jouit déjà d'une réception plus que positive. Il fait l'objet autant de longs reportages sur le phénomène que de critiques enthousiastes sur le film et ses interprètes. Le New York Times parle d'un «plaisir festif» et «d'un party avec une liste d'invités de première classe». Le Hollywood Reporter écrit que c'est «une comédie romantique authentique et enlevante». Le magazine Time dit que le long métrage n'est pas seulement une «révolution pour la représentation de la diversité à Hollywood, c'est aussi un pur et simple plaisir». Reste à voir la réception en Asie. Le film prendra l'affiche la semaine prochaine à Singapour. Déjà des militants autochtones de ce pays trouvent que la comédie dépeint uniquement la réalité de la majorité «dominante» chinoise, aux dépens des Malaisiens, des Indiens et autres minorités ethniques. Pas facile de faire l'unanimité avec l'art, à notre époque...

Photo Richard Shotwell, La Presse canadienne

Le réalisateur Jon M. Chu