Depuis l'époque où il attirait les foules au Québec, le cinéma français s'est profondément transformé, tant dans sa nature que dans sa diffusion. Son rayonnement international est souvent tributaire de ses productions anglophones, qui comptent pour plus de la moitié de ses revenus à l'étranger. Chez nous, les films français tournés dans la langue de Molière se sont fondus dans un cinéma de niche, au même titre que les films venus de pays non francophones. Lors de notre passage aux Rendez-vous du cinéma français, un événement organisé à Paris par Unifrance (l'organisme voué à la promotion du cinéma français dans le monde), nous en avons discuté avec quelques artisans.

Quand on lui demande si, selon lui, le fait que 47 % des productions françaises vues à l'étranger sont de langue anglaise est une bonne ou mauvaise nouvelle, Serge Toubiana, président d'Unifrance, en poste depuis un an, nuance le propos.

«J'aurais spontanément envie de répondre qu'il s'agit d'une bonne nouvelle, mais on pourrait faire mieux», a-t-il déclaré au cours d'une interview accordée à La Presse.

«Comme le cinéma français a aussi pris la mission d'accueillir des cinéastes étrangers tournant des films dans leur langue, on peut dire qu'il a maintenant une double orientation. Et même une double identité.»

«Quand Paul Verhoeven vient tourner Elle en français chez nous, c'est formidable. Il incarne à mes yeux cette force d'accueil que nous avons pour les cinéastes étrangers.

«À l'opposé, poursuit-il, il y a Luc Besson et tous ces cinéastes français qui réalisent des films en anglais. Ils pensent d'abord au marché mondial et c'est leur droit le plus strict. Cela dit, mieux se portent les cinématographies nationales dans les différents marchés, y compris au Québec, mieux se porte le cinéma français. Cela indique en effet que le public est plus ouvert, plus réceptif à un cinéma différent, et qu'on peut exister à côté du monstre américain. Si on se retrouve tout seul face aux superproductions hollywoodiennes, cela devient très difficile.»

Les artisans du cinéma français ont dit:

Fanny Ardant, actrice et cinéaste (Lola Pater, Le divan de Staline)

«Il en est du cinéma français comme du vin. Il y a de bonnes et de mauvaises années. Mais le goût du vin reste. Il faut du temps pour avoir du recul, évaluer la qualité d'une production sur le cours d'une décennie. La chose se complique, car le cinéma est un art, mais aussi une industrie. Et, comme partout ailleurs, la mainmise de l'industrie est de plus en plus grande.»

Tonie Marshall, cinéaste (Vénus Beauté, Numéro une)

«L'arrivée des réalisatrices, maintenant plus nombreuses, a changé des choses. Elles offrent une autre façon de raconter l'amour et la sexualité. Elles ont forcément amené des histoires différentes. Il est quand même troublant de constater que les films d'auteur s'exportaient beaucoup mieux qu'aujourd'hui, alors que ce sont les comédies qui prennent le haut du pavé. Cela dit, nous avons la chance d'avoir encore un système de financement qui nous permet d'avoir une vraie liberté de création. C'est très précieux.»

Photo fournie par Unifrance

Fanny Ardant

Laurent Cantet, cinéaste (Entre les mursL'atelier)

«J'ai l'impression que le cinéma français s'ouvre davantage sur la réalité du monde, ce qui est très positif. Quand j'ai voulu faire Ressources humaines il y a une vingtaine d'années, je me suis souvent fait dire: "Mais qui voudra aller voir ce film?" Depuis, ce genre de question paraît plus ridicule, car le cinéma social fonctionne. Et puis, la réputation du cinéma français relève souvent du cliché avec ses films "bavards sur les relations amoureuses", mais j'entends cela de moins en moins souvent, quand même.»

Nicolas Boukhrief, cinéaste (Made in France, La confession)

«On parle toujours de la crise du cinéma français, mais on fait toujours autant de films et nos parts de marché sont très respectables ! Il est important de maintenir une variété de styles, qu'il y en ait pour tous les goûts. Évidemment, les Netflix et compagnie sont en train de profondément changer les habitudes. Même s'il n'a pu sortir dans les salles en France, Made in France a été incroyablement vu.»

Photo fournie par MK2 | Mile End

Laurent Cantet, réalisateur de L'atelier.

Yvan Attal, cinéaste et acteur (Le brioRaid dingue)

«Notre oeil change. Pendant très longtemps, nous étions habitués à la caméra des reporters. Quand les caméras vidéo sont arrivées, l'oeil a été rééduqué. J'ai grandi avec des films où l'on racontait des histoires. Le langage du cinéma était à ce seul service. Le cinéma français a beaucoup changé depuis 20 ou 30 ans et c'est normal. Les nouvelles générations arrivent, et la technique s'est aussi beaucoup allégée. Avoir une caméra légère ou un téléphone intelligent dans les mains ne donne pas de talent, mais cet accès permet de révéler plus vite ceux qui en ont!»

Dominique Besnehard, producteur, acteur (J'enrage de son absenceHappy End)

«Comparativement aux autres pays d'Europe, on se porte quand même bien, avec une production de plus de 200 films par an. C'est aujourd'hui plus compliqué pour le cinéma d'auteur, d'autant que les artistes ne vont pas toujours appuyer les films à l'étranger. Ils sont tout de suite partants pour aller à New York ou à Tokyo, mais ils ont du mal à comprendre à quel point le marché du Québec est important. Je râle chaque fois quand je constate que le festival Cinemania a du mal à les faire se déplacer. C'est comme s'ils estimaient que le Québec était un territoire déjà acquis. Ça n'est vraiment plus le cas!»

Photo fournie par Unifrance

Yvan Attal

Gaël Morel, cinéaste et acteur (Les roseaux sauvagesPrendre le large)

«On a beaucoup mélangé les choses. Ceux qui font du divertissement à gros prix veulent aussi être reconnus comme des auteurs et ils s'étonnent de leur absence dans les cérémonies où l'on distingue des films d'auteur. Ce cinéma est en train de nous écraser sur le plan économique. Sur 50 comédies, peut-être 10 vont marcher, et les 40 autres feront moins que des films d'auteur qui ont coûté beaucoup moins cher à produire. On dirait que les curseurs sont inversés. On a moins d'empathie - et de patience - pour le cinéma d'auteur alors qu'un réalisateur de films de divertissement peut aligner des productions très chères, qui ont été des échecs au box-office, sans que son statut change pour autant. Il y a sans doute un nouvel équilibre à trouver.»

Jacques Doillon, cinéaste (PonetteRodin)

«Le cinéma est devenu une industrie de divertissement dans une société de consommation. Ce phénomène mondial ne fait que s'accentuer. Le danger dans ce contexte, c'est que certains films ne puissent plus se faire. Je ne sais pas comment les films de Fellini, Bergman, Cassavetes et compagnie pourraient être produits à notre époque. Qui en voudrait? Si j'avais 25 ans aujourd'hui, je crois que je m'engagerais dans la pâtisserie ou la création de jardins! C'est devenu injouable!»

Photo fournie par Unifrance

Gaël Morel