Entrée avec fracas dans le monde du cinéma en 1959 avec Hiroshima mon amour, l'actrice française Emmanuelle Riva, décédée à 89 ans, a été consacrée sur le tard avec Amour après une carrière aussi riche qu'exigeante.

« Chaque individu a plusieurs vies en lui. Et dans ce métier, on développe toutes ces possibilités et c'est passionnant », expliquait à l'AFP celle qui était de retour au festival international de Cannes en 2012 pour Amour de l'Autrichien Michael Haneke, consacré Palme d'or.

Elle y incarnait Anne, une femme dont l'état se dégrade et qui se dirige vers la mort dans de grandes souffrances, partagées avec son mari joué par Jean-Louis Trintignant.

Vivant ce rôle « comme une délivrance », la performance lui vaudra un César de la meilleure actrice, un Bafta britannique et une nomination aux Oscars à 85 ans, battue pour la statuette par Jennifer Lawrence.

Bien avant Hollywood, celle qui s'appelait alors Paulette déclame les classiques dans sa chambre d'adolescente à Remiremont, près du petit village de Cheniménil où elle est née en 1927.

À 19 ans, après des débuts de couturière et malgré les réticences de sa famille ouvrière, elle monte à Paris pour suivre des cours d'art dramatique, obtenant une bourse.

« Changer de rôles »

En 1959, 14 ans après les premières bombes atomiques, une histoire d'amour entre une comédienne française et un architecte japonais dans la ville dévastée d'Hiroshima remporte un succès mondial, amenant l'actrice pour la première fois au festival de Cannes.

Puis en 1962, elle remporte le prix d'interprétation à la Mostra de Venise pour le rôle de Thérèse Desqueyroux, l'empoisonneuse du roman de François Mauriac.

Emmanuelle Riva est désormais célèbre mais, à l'heure des starlettes décolorées et de la sulfureuse Brigitte Bardot, cette brune aux yeux en amande refuse les choix faciles, préférant l'ombre à la lumière.

« Après Hiroshima mon amour, j'ai énormément lutté contre la classification. Ce qui nous importe, à nous les acteurs, c'est de changer de rôles », expliquait-elle à l'AFP.

Pendant cinquante ans, elle promène son jeu dépouillé et sa voix modulée au théâtre, à la télévision, et au cinéma, où elle joue - moins souvent les premiers rôles - sous les ordres des plus grands : Melville, Franju, Cayatte, Arabal, Mocky, Bellochio, Garrel.

En 1992, son rôle de matriarche implacable dans Loin du Brésil de Tilly la rappelle au bon souvenir des cinéphiles et elle enchaîne un an plus tard avec Bleu de Krzysztof Kieslowski. On la verra aussi dans Vénus Beauté (Institut) de Tonie Marshall en 1999.

Elle campe les mères et les grands-mères depuis une dizaine d'années quand Michael Haneke la propulse à nouveau dans la lumière.

En 2014 elle est récompensée du prix Beaumarchais de la meilleure comédienne (décerné par un jury de critiques du journal le Figaro) pour la pièce de Marguerite Duras Savannah Bay.

« Il y a une très grande joie de sentir qu'on échappe à soi-même pour aller on ne sait pas où », estimait-elle à propos de son métier d'actrice.

« On dit "entrer dans la peau du personnage", cela a l'air un peu bébête, mais en fait c'est assez ça, avec toute la chair et l'esprit et le coeur ».