La sortie du long métrage Le petit prince - une production de 80 millions tournée en grande partie ici - confirme que Montréal s'est taillé une place enviable en cinéma d'animation sur la scène internationale. Plusieurs studios, des milliers d'emplois, des films d'auteur autant que des superproductions. La ville s'anime à un rythme fou.

Attention: risque d'avalanche! Film québécois le plus populaire en 2015, La guerre des tuques 3D, production 100 % pure laine, représente la pointe d'un iceberg, celle d'une déferlante d'animation produite à Montréal.

Montréal est devenu incontournable en production de longs métrages d'animation sur la scène internationale. Deux films produits en grande partie ici, Le petit prince - en première nord-américaine - ainsi qu'Avril et le monde truqué prennent l'affiche dans les prochains jours. D'ici peu, deux studios français annonceront de nouvelles productions majeures à Montréal, a aussi appris La Presse.

«En deux ans, avec d'autres compagnies, on a créé 1000 emplois à Montréal, dit Chloé Grysole, qui dirige le studio montréalais de Cinesite - entreprise britannique - et la production du film Charming. Des gens d'ici, et on a aussi recruté 30 % de nos employés en Inde, en Allemagne, aux États-Unis et en Angleterre.»

«On a été longtemps un petite industrie genre boutique à Montréal avec peu de projets. On est en train de créer un magasin.»

Directeur du studio Mikros, société française installée à Montréal, Pascal Laurent note que même si c'est un métier récent, «les jeunes qui y travaillent ont bourlingué dans une ville et une autre. Ils ont envie de tranquillité. Montréal est une ville agréable où se poser, comme on l'a vu dans les secteurs des effets visuels et des jeux auparavant».

«Tout le monde sait qu'à Montréal, on est bons. Il y a un potentiel fou ici. Il y a un an je recevais un CV par semaine, maintenant c'est presque deux par jour», souligne le producteur Brice Garnier (Le petit prince, Mune, le gardien de la lune).

Plein-emploi

En fait, le cinéma d'animation est un secteur de plein-emploi à Montréal. Les artisans passent d'un studio et d'un tournage à l'autre sans souffler.

«Pour Avril et le monde truqué, 15 Montréalais ont travaillé à l'animation, et on a dû faire venir deux personnes de Vancouver et deux Français. C'est plus facile de recruter localement, il y a de très bonnes écoles, mais la multiplication des studios a rendu la chose plus compliquée», explique la productrice Anne Pagès (Avril et le monde truqué).

«J'ai travaillé dans les jeux pendant huit ans. C'était le même genre de situation où plusieurs entreprises sont arrivées en même temps à la recherche de main-d'oeuvre créative locale et internationale», dit Pierre-Luc Labbée, recruteur chez une autre firme britannique Framestore (Fantastic Beasts and Where to Find Them).

Le producteur Nicolas Trout, des Studios Mikros, croit toutefois qu'il y a encore de la place à Montréal.

«On peut se permettre de lancer des projets de qualité. La compétition, dans un écosystème où le marché croît toujours, c'est très sain. Les grands studios américains commencent à vouloir faire des films à budget moyen à notre portée, donc le contexte international nous est favorable.»

Crédits d'impôt

Les généreux crédits d'impôt, même s'ils ont chuté de 45 à 36 % en 2015, attirent les studios. Montréal compte également sur une main-d'oeuvre qualifiée et une qualité de vie enviable.

«Les crédits d'impôt sont encore très avantageux. Investissement Québec et Montréal International, pour les permis de travail, aident beaucoup aussi. Les producteurs l'apprécient», note Chloé Grysole.

Une nouvelle baisse de ces crédits serait fort néfaste, mais «la faiblesse du dollar nous avantage encore, ajoute Brice Garnier, quoiqu'on ne peut pas bâtir un modèle économique sur la parité d'une monnaie.»

La multiplication des projets force les uns et les autres à innover. Le producteur Olivier Rakoto (Le petit prince) croit que Montréal se distingue par sa capacité d'échanger de bons procédés.

«On a tout intérêt à ce qu'il y ait le plus de studios qui marchent bien à Montréal, puisqu'il y aura plus d'artistes et ce sera plus simple pour tout le monde. Notre philosophie, c'est de supporter nos camarades dans le domaine.»

Pour recruter à l'étranger, la ville possède aussi des atouts.

«Montréal possède beaucoup de talent artistique et une grande sensibilité culturelle. On y trouve un bel équilibre entre la vie, l'argent et le travail. C'est quelque chose que les travailleurs recherchent en animation», soutient la directrice artistique Céline Desrumaux (Le petit prince).

Sans oublier l'ONF comme rampe de lancement de bon nombre d'artisans.

«Ce qui fait que Montréal soit forte en animation et en stop motion, par exemple, est la présence de l'ONF, qui a fourni la base de main-d'oeuvre. Les industries du jeu vidéo et des effets visuels y sont pour quelque chose aussi», croit la directrice artistique Corinne Merrell (Le petit prince).

À améliorer

Brice Garnier croit que la prochaine étape pour Montréal est de mettre en place un guichet unique pour le financement et l'apparition de nouveaux distributeurs.

«On fait de très beaux films, mais il manque un guichet, dit-il. Le recrutement reste un casse-tête. Il faut attendre qu'un des studios finisse pour récupérer sa main-d'oeuvre.»

D'autres soulignent la lenteur du processus d'immigration et le manque de mobilité entre les provinces. N'empêche, on se dirige vers des productions majoritaires québécoises dans un avenir rapproché.

La productrice Anne Pagès est en train de développer un scénario écrit ici. Céline Desrumaux est aussi tentée par l'aventure.

«Ça m'intéresse de développer un projet comme l'a fait Carpediem avec La guerre des tuques, dit-elle. Montréal est un super entre-deux entre Londres et Paris, avec des qualités des deux villes.»

IMAGE FOURNIE PAR MÉTROPOLE FILMS

Avril et le monde truqué, qui prendra l'affiche le 19 février, a été réalisé en grande partie à Montréal.