Cinq ans se sont écoulés depuis le début des années 2010. Voici donc le temps des bilans. Nos journalistes Nathalie Petrowski, Marc-André Lussier, Jozef Siroka et Catherine Schlager vous présentent leur top 10 de la mi-décennie. Nous publions aussi une cinquième liste, un palmarès de nos lecteurs, qui ont répondu en grand nombre à notre appel. Si plusieurs films sont mentionnés deux ou trois fois, un seul obtient quatre mentions: Mommy, de Xavier Dolan.

Marc-André Lussier - Top 10

10) Timbuktu d'Abderrahmane Sissako (2014)

Dès le lendemain de son triomphe aux César, où il a raflé sept trophées, des voix se sont élevées pour dénoncer cette oeuvre. Dès qu'un cinéaste s'inspire d'un sujet d'actualité, dans ce cas-ci le régime de terreur instauré par les djihadistes, le phénomène est inévitable. Or, ce film est parsemé de moments immenses de cinéma. Et tire justement sa puissance d'évocation dans la façon avec laquelle il parvient à transcender l'horreur.

9) Polisse de Maïwenn (2011)

En suivant la vie quotidienne des policiers de la «BPM» (Brigade de protection des mineurs), Maïwenn a créé une belle surprise. Appuyée par de formidables acteurs, la réalisatrice parsème sa chronique de scènes très puissantes, tout en évitant la moindre trace de racolage émotif. Répliques décapantes, énergie communicative, et humour en prime, Maïwenn a réussi le difficile pari du «film choral».

8) Shame de Steve McQueen (2011)

Michael Fassbender, qui a reçu un prix d'interprétation à la Mostra de Venise, se glisse dans la peau d'un homme souffrant d'une dépendance au sexe. Au-delà de l'aspect «spectaculaire» du thème, qu'il traite sans aucune complaisance, le cinéaste Steve McQueen (Hunger) propose ici un drame aussi subtil que bouleversant, porté par des acteurs remarquables.

7) Mommy de Xavier Dolan (2014)

Grâce à son sens des dialogues et de la réplique assassine, Xavier Dolan circonscrit immédiatement l'enjeu de cette histoire filiale. Très stylisé, le film se distingue aussi grâce à son formidable trio d'acteurs: Anne Dorval, Antoine Olivier Pilon et Suzanne Clément. Le cinéaste ne craint pas non plus les élans romanesques et les soupçons de lyrisme. Mommy est le plus maîtrisé des films «pur style» Dolan.

6) The Master de Paul Thomas Anderson (2012)

Même s'il est inspiré de l'ascension de L. Ron Hubbard, fondateur de l'Église de la scientologie, The Master n'est pas un drame biographique. Paul Thomas Anderson utilise le prétexte de son émergence pour dresser un fascinant portrait d'époque, traçant des parallèles avec la nôtre. Le regretté Philip Seymour Hoffman est magistral dans le rôle du leader, et Joaquin Phoenix troublant dans celui d'une «âme à sauver».

5) 12 Years A Slave de Steve McQueen (2013)

Le réalisateur de Hunger et de Shame, deux films marquants, plonge le spectateur dans une expérience douloureuse. En relatant l'histoire réelle de Solomon Northup, un homme libre qui, après avoir été piégé, a été vendu en tant qu'esclave dans le sud des États-Unis au milieu du XIXe siècle, le cinéaste affronte directement l'un des épisodes les plus honteux de l'histoire de l'humanité. Un film puissant.

4) Une séparation d'Asghar Farhadi (2011)

Un couple de classe moyenne en crise, cela n'a rien d'exceptionnel. Tout est affaire de contexte. Celui dans lequel évolue le couple iranien d'Une séparation n'a rien de banal. Asghar Farhadi, Oscar du meilleur film en langue étrangère, tire d'un drame conjugal un suspense passionnant qui mêle l'intime, le social et le politique, et pose un regard subtil sur sa société, renvoyant le spectateur à sa propre morale.

3) Birdman d'Alejandro G. Iñárritu (2014)

Le cinquième long métrage d'Alejandro G. Iñárritu explore le questionnement existentiel d'un acteur has been (Michael Keaton), qui veut se refaire une santé artistique en montant une pièce à Broadway. Constituée de plans-séquences vertigineux, rythmée au son d'une trame musicale aussi puissante qu'originale, la réalisation constitue en elle-même un morceau de bravoure. Oscar du meilleur film amplement mérité.

2) Amour de Michael Haneke (2012)

Dans ce film admirable, lauréat de la Palme d'or du Festival de Cannes, Jean-Louis Trintignant interprète un vieil homme qui apprend à se détacher de celle qu'il aime, coincée dans les affres d'une maladie dégénérative. La trop rare Emmanuelle Riva incarne avec sensibilité et justesse cette femme aimée, dont l'esprit s'évapore de plus en plus. Dénué de tout sentimentalisme, Amour est un beau et grand film.

1) La vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche (2013)

Ceux qui ont eu le privilège d'assister à la première représentation de ce film à Cannes en gardent un souvenir impérissable. À l'époque, il n'était pas encore entaché par toutes les controverses, notamment à cause de sorties publiques des actrices. La vie d'Adèle, à qui le jury a attribué la Palme d'or à l'unanimité, est un film exceptionnel, dans lequel l'amour fou s'entremêle à l'émotion sexuelle de façon grandiose.

Nathalie Petrowski - Top 10

10) Mommy de Xavier Dolan (2014)

Une mère, son fils et la voisine ou comment des gens en crise peuvent parfois se faire du bien mutuellement, le tout filmé par le jeune prodige du cinéma québécois.

9) Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow (2012)

La réalisatrice Kathryn Bigelow est la première femme à remporter l'Oscar du meilleur film. La capture de Ben Laden comme si vous y étiez.

8) Dallas Buyer's Club de Jean-Marc Vallée (2013)

L'histoire vraie d'un cowboy homophobe séropositif qui mena un combat important pour la médecine douce.

7) Blue Jasmine de Woody Allen (2013)

Un rôle sur mesure pour l'immense talent de Cate Blanchett qui incarne avec brio une femme au bord de la crise de nerfs, victime collatérale d'un escroc de mari à la Bernie Madoff.

6) Birdman d'Alejandro Gonzalez Iñárritu (2014)

Un tour de force cinématographique et une merveilleuse fable campée à Broadway sur le dur désir de durer d'un acteur.

5) Une séparation d'Asghar Farhadi (2011)

La séparation d'un couple dans un Iran beaucoup plus moderne, nuancé et complexe que l'Occident ne le soupçonne.

4) Monsieur Lazhar de Philippe Falardeau (2011)

Ce film, tiré d'une pièce d'Evelyne de la Chenelière, raconte le passé douloureux d'un prof immigré, le présent difficile d'une jeune élève dans une école du Québec où la rectitude politique est souveraine.

3) Searching for Sugarman de Malik Bendjelloul (2012)

Un film sur le musicien américain Sixto Rodriguez, qui connut un certain succès dans les années 70 avant de sombrer dans l'anonymat et la pauvreté.

2) Ides of March de George Clooney (2011)

Le meilleur film sur le cynisme politique de Clooney avec Ryan Gosling dans le rôle de la jeune recrue qui perd ses illusions et Clooney dans le rôle du politicien retors.

1) Melancholia de Lars von Trier (2011)

La fin du monde comme si vous y étiez avec la beauté des images, la mélancolie du visage de Charlotte Gainsbourg et en prime, un réel frisson d'effroi en voyant la fin arriver.

PHOTO FOURNIE PAR FILMS SÉVILLE

Melancholia de Lars von Trier

Catherine Schlager - Top 10

10) Amour de Michael Haneke (2013)

Pour la réalisation sans failles de Michael Haneke qui propose un huis clos austère et sobre, mais touchant. L'incroyable performance d'Emmanuelle Riva, totalement investie dans le rôle d'Anne. Et Jean-Louis Trintignant au meilleur de son talent. Une histoire d'amour qui passe l'épreuve du temps, malgré la vieillesse et la maladie.

9) La vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche (2014)

Pour l'authenticité, la beauté et la force de caractère de la jeune Adèle (Adèle Exarchopoulos) qui découvre l'amour et la sexualité avec Emma (Léa Seydoux). La mise en scène réaliste d'Abdellatif Kechiche qui filme les moindres frémissements des corps. Une véritable histoire d'amour qui captive pendant trois heures sans ennui.

8) Blue Valentine de Derek Cianfrance (2011)

Pour le charme fou de la rencontre entre Dean (Ryan Gosling) et Cindy (Michelle Williams) au son d'un banjo. Le regard empli de tristesse de Michelle Williams qui sait émouvoir. La splendide photographie de Derek Cianfrance. Un récit criant de vérité d'un amour qui s'éteint à petit feu.

7) La chasse de Thomas Vinterberg (2013)

Pour la cruauté des paroles d'une petite fille qui bouleverse l'existence de Lucas (Mads Mikkelsen, tout en nuances). La mise en scène habile et le montage efficace de Thomas Vinterberg qui font grimper la tension. Un drame troublant sur la portée d'un mensonge au sein d'une petite communauté.

6) Alphée des étoiles d'Hugo Latulippe (2013)

Pour Alphée, attachante petite fille rayonnante malgré ses difficultés d'apprentissage. Les paysages de la Suisse, qui font rêver. L'audace d'Hugo Latulippe d'avoir mis en scène sa propre fille et son histoire familiale. Un hymne à la vie et une touchante lettre d'amour d'un père à sa fille.

5) Whiplash de Damien Chazelle (2014)

Pour le brillant récit de Damien Chazelle sur l'ambition et les sacrifices accomplis pour se dépasser. La prestation marquante de J.K. Simmons dans le rôle de l'impitoyable enseignant. L'efficacité du montage et la photographie très réussie. Et bien sûr la musique qui rythme le récit. Un portrait cruel du monde musical.

4) Mommy de Xavier Dolan (2014)

Pour avoir réussi l'exploit d'attirer les Québécois dans les salles, malgré la gravité du sujet. La véracité du personnage de Diane, incarnée avec aplomb par Anne Dorval. La fulgurance de certaines scènes qui nous marquent à jamais. Un portrait touchant d'une mère courage dépassée par un fils difficile.

3) Le démantèlement de Sébastien Pilote (2014)

Pour le dévouement d'un père qui démantèle sa ferme, l'oeuvre d'une vie, pour aider sa fille. Le portrait sombre, cruel mais réaliste que trace Sébastien Pilote du milieu agricole. Les images et la musique d'une grande beauté. Et Gabriel Arcand, au sommet de son art. Une oeuvre forte.

2) Monsieur Lazhar de Philippe Falardeau (2011)

Pour le personnage de Bachir Lazhar, attachant professeur aux méthodes peu conventionnelles. Le talent de Philippe Falardeau pour aborder avec finesse les problématiques en milieu scolaire. L'incroyable performance de Fellag et la découverte de Sophie Nélisse. Et la superbe musique de Martin Léon. Un joli portrait du monde de l'éducation.

1) Boyhood de Richard Linklater (2014)

Pour l'audace d'avoir filmé le passage de l'enfance à l'âge adulte du petit Mason, de 6 à 18 ans. La générosité des acteurs impliqués dans le projet pendant 12 ans. La beauté du récit de Richard Linklater qui fait la part belle à l'éducation des parents. Un film sur la vie qui s'écoule, tout simplement.

PHOTO FOURNIE PAR MONGREL/MÉTROPOLE FILMS

Boyhood de Richard Linklater

Jozef Siroka - Top 10

10) Into the Abyss de Werner Herzog (2011)

Une impression de sérénité tour à tour lugubre et lumineuse enveloppe ce documentaire qui n'est pas tant un compte rendu d'un triple homicide sordide, mais plutôt une méditation poignante sur la mort, le deuil et cet impératif instinct de survie qui caractérise les êtres humains, peu importe les circonstances.

9) The Master de Paul Thomas Anderson (2012)

L'oeuvre la plus énigmatique du cinéaste surdoué. On s'attendait à une critique en règle du culte de la Scientologie, et l'on a en fin de compte obtenu une expérience bien plus enrichissante: un tour de force de cinéma total, visuellement et musicalement enivrant, doublé d'un duel d'acteurs qui marquera l'histoire.

8) Melancholia de Lars von Trier (2011)

Beaucoup ont vu dans l'approche de l'enfant terrible du cinéma européen la célébration d'une philosophie nihiliste. Au contraire, son «film magnifique sur la fin du monde» - comme il aime le décrire - est une profonde affirmation de la vie, qui est néanmoins intrinsèquement liée à l'acceptation de notre propre mortalité.

7) The Social Network de David Fincher (2010)

Aaron Sorkin, scénariste de ce portrait libre et controversé du créateur de Facebook, a parfaitement résumé le talent de son réalisateur: ses scènes de gens qui discutent informatique sont aussi excitantes que des vols de banque. On apprécie également la fine mélancolie infusée dans ce récit sur un Citizen Kane de l'ère 2.0.

6) Carlos d'Olivier Assayas (2010)

Probablement le film d'auteur le plus divertissant de la décennie jusqu'à maintenant. On parle ici de 339 minutes d'intrigue internationale explosive sans aucun temps mort. Dans la peau d'Ilich Ramirez Sanchez, ce terroriste notoire qui se voyait comme un noble révolutionnaire, Edgar Ramirez nous happe par son charisme magnétique.

5) Bellflower d'Evan Glodell (2011)

Un ovni à la fois naturaliste et impressionniste, sincère et irrationnel, exerçant un lyrisme de la souffrance puisé à même une profonde peine d'amour, la vraie, l'apocalyptique. L'urgence de la survie et l'urgence de la création artistique ne font qu'un dans cette production férocement indépendante dotée d'un budget de 17 000$.

4) Beasts of the Southern Wild de Benh Zeitlin (2012)

Une démonstration des plus habiles de réalisme magique, dans laquelle une fillette vivant dans un bayou post-Katrina se sert de son imagination fertile afin de sublimer sa situation miséreuse. Des performances extrêmement authentiques de la part de non professionnels, le tout agrémenté de notes panthéistiques candides que ne renierait pas Terrence Malick.

3) Poetry de Lee Chang-dong (2010)

Le titre du film invite à une question: lorsque tout s'écroule autour de nous, comme c'est le cas pour la protagoniste, une semi-retraitée dont le petit-fils a commis l'impensable, le seul salut n'est-il pas de partir à la découverte de la poésie contenue dans notre quotidien prosaïque, aussi élusive soit-elle?

2) Tinker Tailor Soldier Spy de Tomas Alfredson (2011)

Une oeuvre d'une élégance et d'une intelligence hors du commun, qui transcende le genre du polar, en conjuguant son intrigue d'espionnage avec le mystère de la condition humaine. Une superbe distribution d'acteurs britanniques qui allie vétérans aguerris (Gary Oldman, John Hurt) et jeunes premiers (Benedict Cumberbatch, Tom Hardy).

1) The Act of Killing de Joshua Oppenheimer (2012)

Un documentaire d'une audace inouïe, aussi meta que constructif, qui part à la rencontre de bourreaux impénitents de l'époque des massacres anticommunistes en Indonésie. Ces génocidaires idolâtrés dans leur pays se transforment devant la caméra en héros de films de série B, la force du cinéma les mettant brutalement face à leurs péchés.

PHOTO FOURNIE PAR DRAFTHOUSE FILMS

The Act of Killing de Joshua Oppenheimer

Le choix des lecteurs - Top 10

Au total, 142 personnes ont répondu à notre appel en nous envoyant la liste de leurs films préférés de la mi-décennie. Voici les 10 oeuvres qui ont récolté le plus de votes, dont deux qui sont arrivées ex aequo. Et merci à tous ceux qui ont participé!

9) 12 Years A Slave de Steve McQueen (2013)

8) The Social Network de David Fincher (2010)

7) Whiplash de Damien Chazelle (2014)

6) Birdman d'Alejandro Gonzales Iñarritu (2014)

6) The Wolf of Wall Street de Martin Scorsese (2013)

5) Django Unchained de Quentin Tarantino (2012)

4) Boyhood de Richard Linklater (2014)

3) Mommy de Xavier Dolan (2014)

2) Incendies de Denis Villeneuve (2010)

1) Inception de Christopher Nolan (2010)

Découvrez la liste complète des films préférés de nos lecteurs à lapresse.ca/filmspreferes

PHOTO FOURNIE PAR WARNER BROS.

Inception de Christopher Nolan