Après le raz-de-marée du film français Intouchables, dont la vedette est un tétraplégique, un autre film, La famille Bélier, met en scène une famille de sourds: jadis cantonnés aux rôles de faire-valoir ou suscitant la pitié, les handicapés sont désormais les héros de comédies à succès, à la grande satisfaction des associations.

Sorti mercredi en France, La famille Bélier, réalisé par Éric Lartigau, s'annonce comme le succès de l'hiver: dans une famille où tout le monde est sourd sauf Paula, seize ans, cette dernière se découvre un don exceptionnel pour le chant et veut abandonner la ferme familiale pour préparer le concours de Radio France.

Depuis une dizaine d'années, plusieurs comédies (populaires, trash ou d'humour noir) s'appuient sur des personnages handicapés pour faire rire, non pas sur eux mais avec eux.

Dès 2003 aux États-Unis, les frères Farrelly, réalisateurs iconoclastes et provocateurs, construisent le scénario de Stuck On You autour de frères siamois, partis à la conquête de Hollywood. Prétexte à un jeu de massacre pour se moquer de la télévision, des sitcoms, de la célébrité et de l'usine à paillettes.

En France, Intouchables, sorti à l'automne 2011, immense succès public, «a été un vrai tournant», estime Éric Blanchet, directeur général de l'Association pour l'insertion des personnes handicapées (ADAPT).

«La présence de personnages handicapés dans des comédies, des films d'action, voire des films d'horreur, permet de sortir d'une vision misérabiliste», ajoute-t-il.

Dans The Cinema of Isolation, le professeur Martin Norden, spécialiste de la question, liste les stéréotypes sur les handicapés véhiculés depuis ses débuts par le cinéma: le vengeur obsédé (Quasimodo, 1939), la victime innocente (Johnny Belinda, 1948), le personnage mi-sage mi-saint (Le coeur est un chasseur solitaire, 1968)...

Il a aussi été souvent représenté sous la forme du méchant, note Diane Maroger, présidente de l'association Retour d'image, consacrée au cinéma et au handicap, qui cite par exemple le paralytique nazi dans Docteur Folamour de Stanley Kubrick (1964).

Pendant longtemps, le handicapé qui suscitait le rire le faisait à ses dépens, avec par exemple le comique dit «slapstick» aux États-Unis, ajoute Diane Maroger. Exemple typique: un sourd reçoit un objet volant dans la figure car il n'a pas entendu les mises en garde de ses compagnons.

Ni des méchants ni des saints

Les nouvelles comédies, elles, manient la provocation, la transgression, l'humour noir, et abordent de front, et en riant, les sujets tabous tels que la sexualité des handicapés. Et ces derniers ne sont ni des méchants à moitié dingues, ni des saints acceptant leur sort le sourire aux lèvres.

Dans Nationale 7 (2000) de Jean-Pierre Sinapi, Olivier Gourmet est un quinquagénaire acariâtre et ronchon qui veut absolument faire l'amour avant que les progrès de sa maladie, la myopathie, rendent cela impossible.

Hasta la vista de Geoffrey Enthoven (2012) envoie trois jeunes Flamands, tous handicapés, en vadrouille en Espagne pour perdre leur virginité avec des prostituées. Autre road movie, Aaltra (2004), de Benoît Délépine et Gustave Kevern, suit le périple de deux voisins en fauteuils roulants allant demander des comptes au fabricant d'une benne agricole dont la chute a provoqué leurs blessures.

Avec L'art de la pensée négative (2006), un film norvégien de Bard Breien, le héros, en fauteuil, sème la pagaille dans une réunion de handicapés chaperonnés par une coach en pensée positive.

Ironie mordante et absence de misérabilisme sont les marqueurs de ces comédies déjantées.

Intouchables et La famille Bélier sont plus consensuelles et visent un public familial mais elles se distinguent, elles aussi, par l'absence de pitié ou de mièvrerie: «pas de bras, pas de chocolat» lance ainsi Driss, auxiliaire de vie, à son riche patient tétraplégique, dans Intouchables.

«Les comédies touchent un large public, c'est un bon vecteur pour changer le regard (sur le handicap). Le problème du handicap, c'est que c'est un monde fermé» et tout ce qui ouvre ce monde est le bienvenu, souligne Éric Blanchet.

Avec une comédie, «on n'est plus dans la compassion, la pitié et le mélodrame. Ça fait du bien de voir combien le vent a tourné», ajoute Diane Maroger.