«Essayez-vous de me séduire, madame Robinson?!!» demande le puceau Benjamin (Dustin Hoffman, dans son premier rôle au cinéma) à la lascive et blasée Anne Bancroft. C'est une légendaire scène du film The Graduate, réalisé par Mike Nichols, en 1967. À une époque où le mot séduction était moins suspect que de nos jours...

Par chance. Car Mike Nichols, mort mercredi à 83 ans d'un arrêt cardiaque, a fait du désir et de la séduction l'essence de son art. Et de sa vie.

De Qui a peur de Virginia Woolf? (sa première réalisation à Hollywood en 1966) au plus récent Closer, avec Jude Law et Natalie Portman, Mike Nichols a filmé avec la précision d'un chirurgien le tumulte amoureux. Couples déchirés, amants infidèles, passions dévorantes, chez Nichols l'attraction est souvent une dépendance. Sur le plateau de tournage ou en répétition, le réalisateur était une figure rassurante, aimante. Nichols savait diriger les acteurs comme nul autre. De Richard Burton à Kevin Spacey, nombreux sont ceux qui ont témoigné au fil du temps avoir plus appris avec lui qu'avec aucun autre metteur en scène.

«Mike est un homme irremplaçable», ont reconnu Tom Hanks et Meryl Streep, en apprenant la nouvelle de la mort de Nichols. Tout cet amour démontre que le metteur en scène new-yorkais savait établir un climat de sécurité et de confiance sur le plateau, afin qu'à leur tour les acteurs puissent séduire les spectateurs avec leur performance.

Au service des histoires

En 50 ans de carrière, au cinéma et au théâtre, il a dirigé les plus grands interprètes américains. De Robert Redford à Meryl Streep, d'Elizabeth Taylor à Julia Roberts en passant par Dustin Hoffman, Shirley MacLaine, Jack Nicholson, Sigourney Weaver, Robin Williams, Jack Lemmon... la liste est aussi longue que le Walk of Fame à Hollywood.

Chose rare, au théâtre comme au cinéma, Mike Nichols était d'abord et avant tout au service des auteurs, de leurs histoires. «Si vous êtes un scénariste, vous voulez que Mike réalise votre scénario. Parce que vous êtes certain qu'il ne trahira pas votre histoire, a déjà dit l'actrice Elaine May. Cette dernière a formé un duo avec Nichols pour un spectacle à Broadway à la fin des années 50.

Né Michael Igor Peschkowsky en 1931, le cinéaste était d'origine juive allemande. Enfant, il a dû fuir la guerre, les camps et l'Allemagne en 1939 avec ses parents. La famille s'établit dans l'Upper West Side à New York. C'est là, à l'adolescence, que Nichols va découvrir puis développer son amour du théâtre, des interprètes, de Broadway.

Son spectre est large: comédies, musicals, drames, classique ou populaire. De Neil Simon à Tchekhov, d'Arthur Miller à Monty Python, Nichols touche à tous les genres. À titre de metteur en scène, il a gagné un record de neuf Tony Awards pour ses productions (dont Mort d'un commis voyageur, Spamalot, Barefoot in the Park et la première version de The Odd Couple avec Walter Matthau et Art Carney). L'artiste fait partie, avec une douzaine de créateurs, du club sélect des EGOT (ceux ont gagné à la fois des prix Emmy, Grammy, des Oscars et des Tonys!).

Comme réalisateur, l'Académie lui a remis l'Oscar pour la meilleure réalisation avec The Graduate et il a reçu trois autres nominations (pour Silkwood, Working Girl et Qui a peur de Virginia Woolf?).

Mike Nichols: «J'aime emmener les acteurs à un endroit où ils peuvent s'ouvrir les veines. C'est le travail. La clé, c'est que je fasse en sorte que les acteurs soient assez en sécurité pour s'ouvrir les veines.»

De l'art et de la séduction, disait-on.

Mike Nichols laisse dans le deuil ses trois enfants et sa (quatrième) femme, l'animatrice Diane Sawyer. Pour lui rendre hommage, ce soir à 19h45, toutes les marquises des théâtres de Broadway vont s'éteindre durant une minute.