Expo 67, qui a marqué de spectaculaire façon l'ouverture du Québec sur le monde, a beaucoup offert en matière d'innovation technologique au cinéma. En fait, c'était l'un des buts de cette historique entreprise appelée Terre des Hommes.

«On nous encourageait à innover, ce qui est assez rare pour des cinéastes», disait hier Greame Ferguson, réalisateur du documentaire La vie polaire/Polar Life, l'un des films les plus innovateurs parmi la pléthore - on parle de plus de 5000 - de documents que les visiteurs de l'Exposition universelle de Montréal ont pu voir sur écran entre avril et octobre 1967.

M. Ferguson était à la Cinémathèque québécoise - «le musée de l'image en mouvement à Montréal» - pour la projection de la version rénovée de son film, un projet dirigé par son fils Monro. Version rénovée à l'ONF, là même où la partie laboratoire de La vie polaire avait été réalisée il y a un demi-siècle, qui permet de recréer «l'expérience audiovisuelle pionnière du film».

Ceux qui sont allés au pavillon L'Homme interroge l'univers en 1967 s'en souviendront probablement: les spectateurs étaient assis sur un plateau qui tournait sur 360 degrés pendant que le film de 18 minutes était projeté sur 11 écrans dont ils ne voyaient que trois écrans à la fois; quatre groupes différents de spectateurs visionnaient le film en même temps.

On voulait que le film rénové «voyage» d'ici 2017, année qui marquera le cinquantenaire d'Expo 67 (et le bicentenaire du Canada et le 375e anniversaire de Montréal); il n'était donc pas question de recréer le plateau tournant. Comme on pourra le voir, gratuitement, dans la salle Norman-McLaren de la Cinémathèque jusqu'au 2 novembre, la version numérique format 4K de La vie polaire est projetée sur trois écrans incurvés sur 90 degrés, ce qui représente 100% du champ visuel original. Expérience pionnière...

Bobines retrouvées

Les couleurs sont brillantes et l'image, d'une netteté parfaite: franchement, on n'a nullement l'impression de voir un film vieux de 50 ans... qui a longtemps été considéré comme «perdu». C'est l'autre belle histoire.

Monika Kin Gagnon dirige CINEMAexpo67, un projet de recherche commun lancé en 2006 par l'Université Concordia - où elle enseigne au département de communication - et l'Université York de Toronto. Les chercheurs sont vite tombés sur les files d'attente devant l'entrée du pavillon L'Homme interroge l'univers pendant l'Expo, ont retrouvé maints exemplaires de La vie polaire, mais pas de trace du négatif ni de «l'interpositif», sans lequel aucune rénovation sérieuse ne pouvait être entreprise.

Mais voilà qu'un jour qu'elle révisait les listes des films que la Ville de Montréal avait légués à la Cinémathèque en 1996, l'archiviste Stéphanie Côté a retrouvé les 11 bobines de l'interpositif de La vie polaire au dépôt de Boucherville. S'est alors engagée une collaboration quadripartite - Cinémathèque-ONF-CINÉMAexpo67-Ville de Montréal - qui fait se rencontrer les compétences personnelles et institutionnelles ainsi que les ressources idoines, indispensables au succès de pareille entreprise.

Pour tourner La vie polaire, Greame Ferguson était allé dans l'Arctique et l'Antarctique, en Alaska et dans le nord du Québec, en Laponie, en Sibérie et dans les pays nordiques de l'Europe. Le réalisateur avait aussi inclus des images, saisissantes, de l'expédition de Sir Robert Falcon Scott dans l'Antarctique au tout début du XXe siècle.

Ici, un band de jeunes Esquimaux, comme on disait dans le temps, qui crie une chanson yé-y, là, des Lapons qui choisissent des animaux d'attelage dans un troupeau de rennes ou encore des chercheurs prenant des échantillons de glace vieille de 4000 ans.

Le commentaire français est livré par une belle voix de chez nous, celle de Lise Payette, qui allait bientôt redéfinir ce qu'est une star de la télévision, et le commentaire anglais par Patrick Watson, futur président de Radio-Canada. Une impression, signe des temps qui changeaient... lentement: il nous a semblé que la femme posait les questions et que l'homme, savant, y répondait... La musique de La vie polaire a été composée par Serge Garant (1929-1986), lui-même grand innovateur qui, le premier, avait introduit la bande magnétique dans une pièce musicale (1955).

Après l'Expo, Greame Ferguson et son collègue cinéaste Roman Kroitor se sont dit: pourquoi ne ferait-on pas un autre film semblable, mais pour un seul grand écran au lieu de onze? IMAX était né et serait présenté au monde à l'Exposition d'Osaka en 1970, un rejeton technologique d'Expo 67 aujourd'hui connu (700 salles) établi dans l'ensemble de la planète.

Du Grand Nord au grand écran via l'île Sainte-Hélène...