Un jour, au Québec, Samer Najari a assisté aux funérailles d'une femme originaire d'Arwad, une île de la Syrie baignée par la Méditerranée. Autour de lui, il y avait les enfants et les petits-enfants de cette femme.

«Ses enfants étaient parfaitement à l'aise dans les deux cultures alors que les petits-enfants parlaient à peine la langue de leur grand-mère. Chez eux, la culture d'origine s'étiolait. Pour eux, la notion de chez-soi était ici, raconte le cinéaste. Ce que j'avais sous les yeux, c'était l'amertume de la perte et la douceur de l'intégration.»

D'une grande beauté, cette dernière phrase nous renvoie aux thèmes d'Arwad, le film que M. Najari et sa conjointe Dominique Chila viennent de coréaliser. Perte, deuil, intégration, amour, patrie, chez-soi. Ces mots se retrouvent le long de la courbe dramatique de l'oeuvre mettant en vedette l'acteur franco-syrien Ramzi Choukair, Fanny Mallette et Julie McClemens.

Ali (Choukair) vit à Montréal avec sa femme Gabrielle (McClemens) et leurs deux filles. À la mort de sa mère qui vivait avec la famille, Ramzi sent le besoin de retourner au pays de ses racines. Il part pour Arwad avec Marie (Mallette), sa maîtresse. À la suite d'un événement tragique, les routes de Marie et Gabrielle vont se croiser, passant de l'ombre à la lumière.

Le film a été tourné en pleine guerre de Syrie (les séquences d'Arwad ont été captées en Tunisie) et nous arrive maintenant en plein débat sur la charte de la laïcité. Samer Najari n'est-il pas tenté de demander l'asile politique en Suisse? L'homme rit lorsqu'on lui pose la question.

«Ce n'est pas un film sur la Syrie. C'est un film sur ici et sur la notion de chez-soi. Je suis moi-même encore en train de définir quel est mon chez-moi. Que le film arrive en plein débat de la Charte est tant mieux puisque nous sommes en train de définir nos repères identitaires», répond-il.

Mme Chila et lui soulignent aussi que le film ne se concentre pas uniquement sur des immigrants, mais aussi sur leur entourage, une nuance importante et très proche de la réalité québécoise actuelle.

«Il n'est pas uniquement question de la quête de l'immigrant pour l'intégration, mais de sa famille directe, dit M. Najari. Ce thème est nourri de notre collaboration. Dominique (née d'un père italien et d'une mère québécoise) et moi avons trois enfants et nous sommes aussi, tous ensemble, en train de bâtir notre identité à notre petite échelle.»

L'exil

Fanny Mallette se sent concernée par les thèmes du film. Elle se félicite de voir que des questions comme l'exil sont de plus en plus abordées au cinéma québécois.

«L'exil, c'est quelque chose qui me touche profondément, dit-elle. J'essaie de m'imaginer devoir partir, à l'âge que j'ai, avec ma famille, et m'installer pour toujours dans un pays où je dois refaire ma vie, où on ne parle pas ma langue. On doit tout refaire, tout réapprendre, ce qui demande un effort énorme, un grand sacrifice, un don de soi.»

De son côté, Julie McClemens observe que la question du deuil est constante dans le long métrage.

«Arwad est un film sur le deuil, estime-t-elle. Le deuil traverse le film. Il y a celui de la mère, quelqu'un qu'on aime et qu'on perd. Il y a celui d'une patrie, celui des rêves qu'on a pour soi-même et sa famille. Ce film porte sur la perte d'illusions.»

Hors des stéréotypes

Pour jouer le rôle de la maîtresse, les coréalisateurs voulaient sortir des sentiers battus. Sans doute parce que le film, à la base, ne repose pas sur une affaire de triangle amoureux.

«Pour ce rôle, il nous était important de ne pas avoir quelqu'un de "cadré", dit Dominique Chila. On voulait sortir le personnage de la définition que les gens peuvent en avoir. On ne voulait pas la mettre dans un rôle trop sexué, trop féminin. Il était important que Marie soit à la hauteur de Gabrielle, qu'elle n'ait pas un atout comme l'âge ou le niveau social.»

Incarnant la femme d'Ali, Julie McClemens est totalement en accord avec l'approche. «J'ai trouvé ça très intéressant qu'ils prennent Fanny pour ce personnage. Ça donne une dimension beaucoup plus humaine et moins caricaturale. En plus, c'est Fanny! lance-t-elle avec admiration. Nous n'avions jamais eu l'occasion de travailler ensemble.»

Arwad prend l'affiche le 7 février.