Réaliser un long métrage sur les mathématiques, c'était osé. Olivier Peyon relève le défi avec Comment j'ai détesté les maths, un documentaire qui met en scène le célèbre Cédric Villani, scientifique et dandy, et plusieurs autres personnages hauts en couleur.

Le film, qui sort sur les écrans français mercredi mais n'est pour l'instant pas distribué à l'étranger, part d'un cri du coeur universel: «je déteste les maths».

Un historien des mathématiques, Jean Dhombres, résume les clichés attachés au mathématicien, un être qui n'est pas dans le réel, ne sert à rien, pire, qui «tue le réel».

Non seulement les nuls en maths, ou qui se revendiquent comme tels, sont légion, mais en plus ils en tirent souvent une certaine fierté. Au point que Cédric Villani, médaillé Fields, ne comprend pas comment on peut compter autant de «derniers» en maths...

Olivier Peyon (Les petites vacances) part de ce constat pour nous proposer une série de rencontres à travers le monde, à la découverte de mathématiciens qui incarnent ce qu'il appelle «l'esprit des maths».

Ni théorème ni formule au tableau pour ce film qui se veut avant tout «vivant», «incarné par de la chair».

«J'ai rencontré énormément de gens, c'est comme un casting de fiction. Il fallait qu'on soit accroché par les personnages, qu'ils soient des personnages de cinéma, attachants, hauts en couleur, et en même temps des sommités dans leur domaine», a-t-il expliqué à l'AFP.

Le Français Cédric Villani, hypermédiatisé depuis qu'il a obtenu la médaille Fields, considérée comme le «Nobel des mathématiques», était incontournable.

On ne peut que sourire lorsqu'on le découvre en août 2010 à l'accueil du Congrès international des mathématiciens d'Hyderabad, en Inde, là même où il a reçu la prestigieuse récompense. Avec sa fameuse broche-araignée au revers de sa veste, il est en chaussettes et a oublié son numéro d'inscription.



Le thème de la responsabilité


Étonnante rencontre aussi que celle de François Sauvageot, professeur à Nantes dans les classes préparatoires qui préparent aux très sélectifs concours d'entrée dans les prestigieuses «grandes écoles» françaises. Colosse barbu qui joue de la machine à coudre, il n'a de cesse de «trouver les bonnes images» pour faire passer les notions abstraites.

À l'Institut de recherche mathématiques d'Oberwolfach, en Allemagne, on plonge dans l'univers des matheux pur jus. Surprise, ils sont capables de se perdre dans la nature.

La seconde partie du film analyse l'emprise des mathématiques sur le monde. Car le paradoxe est que cette science si incomprise et mal-aimée a bouleversé notre société depuis une quarantaine d'années.

Olivier Peyon revient ainsi sur l'abus des modèles mathématiques et leur responsabilité dans la crise des subprimes, aux États-Unis, en 2007.

Il présente deux figures pleines de contradictions pour illustrer les dérives des mathématiques financières. D'un côté George Papanicolaou, professeur à Stanford, qui a formé les meilleurs courtiers-mathématiciens de Wall Street. Aujourd'hui, une partie de sa famille subit les conséquences de la crise grecque.

De l'autre Jim Simons, philanthrope qui finance l'étude des mathématiques aux États-Unis. Il est aussi l'un des inventeurs du Trading haute fréquence, les transactions financières faites par des algorithmes informatiques.

«Le grand thème du film c'est la responsabilité, celle des mathématiciens, mais la nôtre aussi, dans notre façon de rejeter cette matière», souligne Olivier Peyon. «On ne peut plus la rejeter, tellement elle a pris une place capitale dans notre monde», estime-t-il. «Il faut au moins se demander pourquoi ce rejet».

Le film lui a pris «quatre ans à temps plein». «Personne ne voulait le financer. C'était très difficile, parce que c'était un documentaire en salles, et parce que c'était les maths», reconnaît-il.

Le film est rythmé par un choix musical inattendu (Relax Max, de Dinah Washington, Elusive Dreams, de Nancy Sinatra...). «Il fallait que ça swingue», commente Olivier Peyon, expliquant qu'«il y a beaucoup de chansons des années 70, parce que c'est là où tout s'est joué, l'explosion de l'informatique, l'invention des mathématiques financières...».