Lauréat du Prix de la mise en scène à Cannes et de la Louve d'or du Festival du nouveau cinéma de Montréal, Amat Escalante montre dans Heli l'une des tristes réalités de son pays, le Mexique.

Sa tête de gendre idéal est peut-être un peu trompeuse. Amat Escalante propose un cinéma qui n'a strictement rien d'aimable. Son plus récent film, Heli, est probablement l'un des longs métrages les plus sombres, les plus durs à avoir été montrés sur grand écran cette année.

À 33 ans, le jeune cinéaste s'inscrit dans la mouvance du nouveau cinéma latino-américain, mexicain en particulier. Depuis le début du nouveau siècle, ce mouvement a engendré quantité de films essentiels, tous fortement ancrés dans leur réalité sociale. Et des auteurs ayant pour nom Iñàrritu, Cuarón, Reygadas...

Révélé en 2005 grâce à Sangre, lancé à Cannes dans la section Un certain regard (où il a obtenu le prix de la critique), Amat Escalante a aussi réalisé Los Bastardos, lequel devait confirmer son statut sur le circuit des festivals.

L'amour du cinéma

Heli, présenté en compétition officielle au Festival de Cannes le printemps dernier (le Prix de la mise en scène lui fut attribué), impose la signature d'un cinéaste qui souhaite confronter le spectateur à la dure réalité qui gangrène de l'intérieur la plus grande richesse du pays: sa jeunesse.

«Quand je réalise un film, c'est l'amour du cinéma qui m'inspire avant tout, a déclaré Amat Escalante lors d'une conférence de presse tenue au Festival de Cannes. J'aime les films de Leone, les westerns. Heli est un film inspiré d'une réalité que je ne connais pas personnellement, mais qui existe au Mexique, notamment dans la ville où j'ai grandi. Avec le coscénariste Gabriel Reyes, nous avons imaginé une histoire qui relève de la pure fiction, mais qui évoque quand même la présence d'un virus qui contamine plusieurs régions de mon pays.»

Ce «virus» est celui de la violence et de la corruption, qui sévissent dans des quartiers où les cartels de la drogue font la pluie et le beau temps. Campée à Guanajuato, une ville industrielle située à cinq heures de route de Mexico, l'intrigue décrit l'engrenage dans lequel s'engage une famille quand une fillette âgée d'à peine 12 ans tombe amoureuse d'un jeune policier impliqué dans un détournement de drogue.

Violence frontale

Dans Heli, Ascalante filme la violence frontalement, mais sans complaisance. Le choc est d'autant plus grand qu'elle est ici commise par de très jeunes personnes. Des enfants en sont aussi les témoins. Le film commence par une scène de pendaison pour ensuite faire un retour en arrière afin de remonter le fil des événements. Une scène de torture insoutenable ponctue aussi le récit.

«Il était important de placer la violence dans son contexte social, explique le cinéaste. Et ne pas en faire un spectacle. Il fallait aller au-delà afin d'analyser les choses un peu plus en profondeur. Au Mexique, la violence est présente partout dans les médias. Les journaux publient des photos très explicites et les bulletins d'information à la télévision montrent aussi des scènes horribles. Je crois que nous sommes nombreux à en avoir assez. Exposer la violence comme nous le faisons dans le film, c'est la dénoncer en fait. On ne pourra jamais s'attaquer à un problème si on fait comme s'il n'existait pas.

«Quant à la scène de torture, poursuit-il, elle est effroyable à cause de son caractère ordinaire. Ces actes ignobles sont commis par de très jeunes personnes. Et se déroulent dans l'indifférence de ceux qui assistent à la scène. Et puis, il y a des enfants autour.»

L'auteur-cinéaste, né d'un père mexicain et d'une mère américaine, indique aussi que la religion pèse encore lourd dans certaines régions. L'avortement y est formellement interdit. D'où la présence de nombreuses (très) jeunes filles mères.

«La maman du bébé qui est dans le film était avec nous sur le plateau, fait remarquer Escalante. Elle était âgée de 14 ans! Nous avons par ailleurs fait appel à des non- professionnels pour camper ces personnages. La petite Andrea Vergara a été aperçue par hasard dans la rue par mon frère, qui s'occupait de recruter nos acteurs. Dès que j'ai vu sa photo, j'ai espéré que ça puisse marcher. Elle a été formidable. Même si certains d'entre eux connaissaient cette réalité d'un peu plus près que d'autres, tous les acteurs ont bien compris que nous faisions du cinéma!»

Rappelons qu'en plus d'obtenir récemment la Louve d'or du Festival du nouveau cinéma de Montréal, Heli a été choisi pour représenter le Mexique aux Oscars dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère.

Heli prend l'affiche le 8 novembre.