David Bouthillier voulait faire un film de skateboard. Il a fini par réaliser un documentaire-choc sur un des endroits les plus trash de Montréal. Troublant.

Situé en plein coeur du centre-ville, dans la partie Red Light du boulevard Saint-Laurent, le parc de la Paix fait figure de microbe.

Depuis son ouverture en 1994, ce petit espace vert minable est le théâtre de la plus grande "trashitude" urbaine. Malgré les efforts de la Ville pour revitaliser la zone et les projets de construction dans le quartier (des spectacles), ce no man's land déprimant est demeuré un lieu de rencontre pour tous les poqués de la vie, camés, putes, sans-abri, alcoolos et autochtones en perdition, sans oublier tous les "skateux" à calotte, qui en ont fait leur point de rendez-vous privilégié.

David Bouthillier fut un des premiers à adopter le parc de la Paix pour son potentiel sportif. Au début des années 2000, propriétaire d'une caméra flambant neuve, il a décidé d'y tourner une vidéo de skateboard, dans l'espoir d'attirer l'attention des commanditaires et de faire le saut chez les professionnels.

Mais les choses ont pris une autre direction. À force de tourner dans le parc, il est devenu assez évident pour le jeune homme que Peace Park serait beaucoup plus qu'un film sur les planches à roulettes. Son projet a rapidement débordé le sujet initial pour se transformer en documentaire socio-urbain sur le parc, sa faune en déchéance et, par extension, sur ce segment de la Main actuellement en pleine mutation.

«Ça s'est développé naturellement, explique David Bouthillier, 34 ans, qui présentera la version finale de Peace Park ce soir, dans le parc de la Paix, pour les protagonistes de son film. J'avais du skate et des images-chocs. Mais je ne pouvais pas faire un film sur le parc de la Paix sans essayer de comprendre le quartier.»

Plus qu'un «chocumentaire»

Réalisé sur une période de 13 ans, Peace Park est ce qu'on pourrait appeler un film coup-de-poing. Plusieurs séquences, assez dures, nous montrent un Montréal qu'on ne veut pas voir: celui des soûlons, des dealers, des crackheads qui se défoncent et des prostituées en pleine action, une communauté dysfonctionnelle qui a appris à survivre, pour le meilleur et pour le pire.

Malgré quelques témoignages qui touchent au coeur, David Bouthillier est le premier à admettre que ces images frappent dur. «Quand je transférais tout ce que j'avais filmé sur mon ordi, des fois, il fallait que je prenne un break», dit-il, conscient que Peace Park ne plaira vraiment pas à tout le monde.

Mais il sait aussi que son film va beaucoup plus loin que le simple "chocumentaire".

Ses réflexions sur l'évolution du quartier ratissent large. Et soulèvent un certain nombre de questions essentielles sur le planning urbain, la mixité sociale, la réinsertion, la cohabitation d'univers disparates et, bien sûr, l'avenir de ce tronçon historique de la Main, autrefois appelé Red Light, qui est en voie de changer radicalement avec l'étalement du Quartier des spectacles.

Le réalisateur (qui, en passant, est toujours à la recherche d'un distributeur) ne sait pas à quoi ressemblera le parc de la Paix dans 10 ans. Il sait seulement que, depuis 2001, l'endroit n'a pas beaucoup changé. Malgré l'embourgeoisement et tous les efforts de la Ville pour nettoyer le quartier, le parc continue d'attirer une faune amochée et infréquentable, que plusieurs préfèrent éviter.

«Le coin s'est transformé, mais pas le parc. Les sans-abri sont toujours là. La seule différence, c'est qu'il y a moins d'alcooliques et plus de crackheads

Et les skateux?

«On est moins là, constate Bouthillier. Il y en a qui ont trouvé des jobs de jour. D'autres qui étaient tannés de se faire harceler par la police. Mais moi, j'y retourne chaque jour. Je documente. Je fais des photos pour un livre. Je pense même en faire une série pour développer certains angles plus en détail. Peace Park est un sujet inépuisable...»

Peace Park de David Bouthillier, «première pour son public» ce soir, 21h, au parc de la Paix.