La Côte d'Ivoire vient de produire le premier long métrage d'animation en 3D réalisé en Afrique de l'Ouest, Pokou, princesse ashanti, qui raconte la légende d'un personnage central dans la formation du peuple ivoirien.

Un graphisme simple, des couleurs éclatantes, de la gaîté et quelques savoureux anachronismes: sorti le 6 juillet à Abidjan, le film permet à Abla Pokou de sortir des manuels scolaires pour revivre sur grand écran sous les yeux des enfants.

Au XVIIIe siècle, cette princesse du royaume ashanti, dans l'actuel Ghana, fuit avec une partie de la population les intrigues et la guerre dans son pays pour rejoindre le centre de la Côte d'Ivoire voisine. Sur sa terre d'exil, elle fonda le peuple baoulé, qui allait devenir l'un des plus importants groupes ethniques du pays.

Bien connue des Ivoiriens, la légende prétend qu'elle a fait passer son peuple vers la Côte d'Ivoire au prix du sacrifice de son unique enfant, un garçon.

Pour Afrika Toon, la petite maison de production basée à Abidjan qui a mené à bien ce projet, le choix de la 3D - une première «en Côte d'Ivoire et en Afrique de l'Ouest» pour un long métrage - s'est imposé.

«C'était la solution la plus accessible, puisqu'on devait reconstituer certains éléments comme le palais royal», explique à l'AFP le producteur du film, Abel N'Guessan, auteur de bandes dessinées passé à l'animation.

Avec des acteurs et des décors réels, des scènes en extérieur et de nombreux figurants, la facture aurait dépassé le budget de 95 millions de francs CFA (205 000 $) du film.

Pendant deux ans, l'équipe de dix techniciens s'est pressée dans un minuscule studio situé à Koumassi, un quartier populaire de la capitale économique ivoirienne, pour donner vie aux personnages et à leurs aventures.

«Slam» et «coupé-décalé»

Les techniciens ont appris sur le tas. «On a formé tout le monde sur place sur les logiciels et sur les techniques d'animation» en l'absence de structures ou de formations adéquates, raconte Abel N'Guessan, un ancien du journal satirique ivoirien Gbich, qui mûrissait ce projet depuis 2009. Vingt acteurs ont prêté leurs voix aux héros.

Dans un pays où le cinéma est devenu marginal en raison  de la grave crise politique des années 2000 et de ses répercussions économiques, le maître d'oeuvre de Pokou ne cache pas sa fierté: «c'est le premier film d'animation ivoirien, produit en Côte d'Ivoire par des Ivoiriens».

Il a voulu mettre dans le film «beaucoup de rêve, de magie». Il y a aussi beaucoup de libertés prises avec l'histoire et des invraisemblances: comme les dessins animés américains, Pokou s'autorise des clins d'oeil au monde d'aujourd'hui.

Ainsi, sous les rires du public, Dakon, le jeune héritier du trône, se livre à une session de «slam», ce genre musical proche du rap, et des personnages dansent sur du «coupé-décalé», musique urbaine typiquement ivoirienne.

Au-delà du film, «la légende a pris le pas sur l'histoire» s'agissant du destin de Pokou, relève René Kouamé Allou, professeur d'histoire à l'université d'Abidjan.

Ce spécialiste de l'univers baoulé en reconnaît toutefois l'utilité: réactivée cette fois par le dessin animé, «la légende fortifie un peuple, qui à partir de cette légende tire fierté de ses ancêtres».

Les Baoulé restent l'une des principales ethnies de Côte d'Ivoire. Leur plus illustre représentant récent a été Félix Houphouët-Boigny, «père de la Nation» et premier président de cette ex-colonie française depuis l'indépendance de 1960 jusqu'à sa mort en 1993.

Si les familles se pressent pour voir Pokou à Abidjan, l'équipe du film prévoit aussi des projections dans l'intérieur du pays. Elle doit surtout relever un défi: vendre l'opus à des télévisions étrangères.

Mais d'ores et déjà le père de Pokou a une idée en tête. Raconter une histoire plus vaste, et une autre légende: celle de Soundiata Keïta, qui au XIIIe siècle fonda l'empire du Mali.