Alternant témoignages émouvants et commentaires ironiques, le documentaire Odessa du réalisateur Florin Iepan se penche sur l'un des pires massacres de la Seconde Guerre mondiale pour inviter les Roumains à assumer leur rôle dans l'Holocauste.

«La Roumanie est vulnérable, une nouvelle flambée d'intolérance, de haine ou de xénophobie peut éclater à tout moment» en l'absence de ce travail de mémoire, a déclaré M. Iepan à l'AFP.

Montré en avant-première dans le cadre du festival international de documentaires One World Romania, ce film évoque l'exécution en masse de 22 500 civils juifs ukrainiens par l'armée roumaine, sur ordre du maréchal pro-nazi Ion Antonescu.

Ce massacre fut ordonné en représailles à la mort d'une centaine de militaires dans un attentat contre le quartier général roumain à Odessa, perpétré par des partisans soviétiques mais attribué aux juifs.

Le 23 octobre 1941, des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants furent menés vers des entrepôts de la banlieue de cette ville où ils furent enfermés, avant que des militaires y mettent le feu.

Ceux qui ne sont pas morts brûlés vifs et ont tenté de s'enfuir ont été mitraillés.

«Je me rappelle les milliers de femmes marchant en colonne, dans un silence profond» vers la mort, raconte un témoin roumain, âgé à l'époque de sept ans, qui ajoute avoir appris beaucoup plus tard l'explication de cette «odeur persistante de chair brûlée qui avait plané sur la ville pendant trois jours».

Cet épisode, «le plus sombre de l'histoire des Roumains», selon M. Iepan, est le point de départ d'une pénible démarche pour secouer les consciences, alors que la Roumanie a longtemps nié sa participation à la Shoah et tandis que de nombreux Roumains vénèrent toujours Antonescu.

Le massacre d'Odessa est passé sous silence dans les manuels scolaires roumains.

Selon une commission internationale d'historiens mise en place par le Prix Nobel de la paix Elie Wiesel, entre 280 000 et 380 000 juifs roumains et ukrainiens sont morts pendant l'Holocauste en Roumanie et dans les territoires alors sous son contrôle, tandis qu'environ 25 000 Roms furent déportés, plus de 11 000 trouvant la mort.

Âgé de 44 ans, M. Iepan avoue avoir lui-même appris la vérité sur le passé fasciste de la Roumanie en 2006, lorsqu'il a été sollicité par la télévision publique pour réaliser un bref documentaire sur Antonescu.

Figurant sur une liste des 100 Roumains «les plus grands», le maréchal n'est finalement arrivé qu'en 6e position dans les options des téléspectateurs. Mais l'honneur de cette compétition, qui risquait de couronner un criminel de guerre, semble avoir été sauvé par une manipulation des voix.

Choqué, M. Iepan se propose alors de lancer une campagne de sensibilisation des Roumains. Il obtient un soutien inespéré de la part d'un survivant du massacre d'Odessa, Mikhaïl Zaslavski, qui vient en Roumanie.

Mais la présence de ce témoin âgé aujourd'hui de 86 ans et dont la mère, trois soeurs, un frère et une tante périrent dans le carnage, dérange.

Lors d'un colloque d'historiens dédié à l'ancien roi Michel de Roumanie, il se fait couper le micro, tandis que M. Iepan est accusé de perturber la réunion.

L'ancien président de centre droit Emil Constantinescu évite de serrer la main à M. Zaslavski, et d'autres hommes politiques refusent d'évoquer ce sujet sensible.

«Ma démarche est une protestation contre l'absence de réaction des autorités», a déclaré M. Iepan à l'issue du film, devant une salle acquise, alors que quelques rares spectateurs lui reprochaient des «contre vérités».

«Je pense que 70 ans après, un haut responsable roumain devrait aller à Odessa et exprimer ses regrets devant le dernier survivant du massacre et devant la communauté juive, en assurant que la Roumanie d'aujourd'hui est différente de celle d'Antonescu», dit-il à l'AFP. «Il s'agirait peut-être d'un geste formel mais il pourrait néanmoins ouvrir un débat».