Pas de Zero Dark Thirty sur la fin de Ben Laden, ni de Homeland: au Pakistan, où fut tué le chef d'Al-Qaïda, cinémas et télévisions se censurent pour ne pas remuer le couteau dans les plaies d'un pays épidermique sur les questions de terrorisme et d'islam.

Autre production américaine, la série Last Resort subit le même sort, jugée elle aussi contraire à l'intérêt national d'un État marqué depuis sa création en 1947 par le mythe de la défense des musulmans menacés par l'étranger.

Ces boycottages sont la dernière forme de censure non officielle dans ce pays où les autorités bloquent YouTube depuis quatre mois, car il diffuse L'innocence des musulmans, un film américain parodique de mauvaise qualité sur l'islam qui est jugé offensant.

Le succès international de Zero Dark Thirty n'y a rien fait: les très populaires cinémas du Pakistan ont décidé de ne pas diffuser le film de Kathryn Bigelow, qui romance une décennie de traque américaine d'Oussama ben Laden, avec en point d'orgue son exécution sommaire par un commando de forces spéciales américaines le 2 mai 2011 à Abbottabad, dans le nord du Pakistan.

Saluée sans retenue en Occident, la mort du cerveau des attentats du 11-Septembre a en revanche laissé un goût amer dans la bouche des Pakistanais, qui ont vu leur toute puissante armée, déjà humiliée par le raid américain, soupçonnée en plus de complicité avec Al-Qaïda, Ben Laden ayant paisiblement vécu pendant cinq ans à Abbottabad, tout près de la principale académie militaire du pays.

Encore aujourd'hui, dans ce pays très anti-américain, une partie de la population crie à la mise en scène américaine, affirment que Ben Laden ne se trouvait pas dans le pays et dénoncent un complot contre leur pays et l'islam.

«Nous n'avons pas acheté Zero Dark Thirty, et personne d'autre ne l'a fait» dans le pays, confirme Mohsin Yaseen, représentant du distributeur de film Cinepax, en critiquant un film trop «pro-américain».

«Plusieurs scènes sont de nature à nous humilier. C'est donc dans l'intérêt de la nation pakistanaise» de ne pas le montrer, explique-t-il.

Le film a certes déclenché une controverse côté américain en montrant le rôle joué par la torture dans la découverte du repaire de Ben Laden.

Mais les responsables pakistanais y voient surtout une oeuvre manichéenne à la gloire des Américains et justifiant un raid meurtrier illégal dans un pays souverain, le leur. Un film qui trahit à leurs yeux le peu de considération humiliant de Washington pour le Pakistan, ses habitants et l'islam.

Les distributeurs de films se sont eux-mêmes censurés, sans même demander l'avis du Comité national de la Censure. En 2010, ce dernier avait interdit la comédie indienne Tere Bin Laden, qui moquait le chef d'Al-Qaïda, au motif qu'elle pouvait offenser les musulmans et inciter aux attentats suicide.

Côté télévision, Max Media, qui détient les droits de la chaîne câblée Star World au Pakistan, refuse de diffuser Last Resort et Homeland.

Last Resort, qui raconte l'histoire d'un sous-marin américain, met en scène des bombardements nucléaires américains sur le Pakistan.

Homeland, sur les menaces d'attentats d'Al-Qaïda aux Etats-Unis, ne mentionne elle que très brièvement le Pakistan. Mais elle tend elle aussi à présenter souvent l'islam comme une religion guerrière.

«Ces séries sont contre nos intérêts nationaux, nos valeurs culturelles et notre idéologie», a expliqué à l'AFP un responsable de Max Media sous couvert d'anonymat, arguant également que même «une vague référence à l'islam peut enflammer la violence au Pakistan».

Un dernier argument peu convaincant: Zero Dark Thirty comme Homeland sont vendus librement et en masse dans les innombrables magasins de DVD piratés du pays. «Nous n'avons pas reçu de menaces, et personne ne nous a empêchés de vendre ces DVD», a déclaré un vendeur d'un de ces magasins très populaires à Islamabad.