Une préparation inexistante, des décisions précipitées, des analyses contestables : le portrait que brosse un documentaire de la gestion de l'Irak par les États-Unis après le renversement de Saddam Hussein en 2003 est à la fois précis comme un scalpel et glaçant.

Récompensé au festival du film indépendant de Sundance en janvier, No End In Sight (Aucune issue en vue) met pour la première fois en lumière les rouages de l'occupation américaine et les erreurs lourdes de conséquences qui ont été commises lors de sa première année.

Charles Ferguson, spécialiste des sciences politiques ayant fait fortune sur Internet, a investi 2 millions de dollars pour tourner son premier film.

S'appuyant sur les témoignages de 70 acteurs de cette période clé, le documentariste de 52 ans examine avec méticulosité des décisions prises par l'Autorité provisoire de la coalition (CPA), comme le démantèlement de l'armée irakienne et la «débaasification», et son échec à empêcher les pillages à grande échelle.

Le résultat est saisissant. «Même les membres du public les mieux informés vont en rester bouche bée», a affirmé l'influent quotidien Variety dans sa critique.

M. Ferguson assure que son film est né en partie d'une réaction à la couverture selon lui incorrecte que les médias généralistes ont effectué de la guerre en Irak. «En tant que spécialiste des sciences politiques avec beaucoup d'amis experts en politique étrangère, j'ai été assez perturbé par la qualité de cette couverture», dit-il à l'AFP.

«De nombreux bons livres sur l'Irak ont été écrits, mais peu d'Américains prennent six, huit ou dix heures pour lire un livre de 400 pages», remarque le réalisateur: «On ne peut pas avoir une bonne idée générale d'un problème compliqué en regardant la télévision ou en lisant un journal. Ce genre de journalisme exhaustif n'existe presque plus».

M. Ferguson dit avoir été effaré par les anecdotes qui lui ont été rapportées pendant son enquête. «Je connaissais la plupart des faits généraux, mais lorsque j'ai appris à quel point le comportement de l'administration a été stupide et absurde, je n'en suis pas revenu», lance-t-il, citant la décision du chef de la CPA, Paul Bremer, de démanteler l'armée irakienne.

Cette mesure a été analysée comme une des causes du renforcement de l'insurrection, des milliers de jeunes Irakiens sunnites entraînés aux armes s'étant retrouvés au chômage et en colère contre les forces d'occupation.

«Bremer a pris cette décision en suivant les recommandations de Walter Slocombe (un conseiller de la CPA), alors que ni l'un ni l'autre n'avaient vécu en Irak et que Bremer n'était en poste que depuis neuf jours», selon M. Ferguson.

«Et il y a eu beaucoup de choses de ce type, des dizaines», affirme-t-il, démentant par ailleurs que les critiques adressées à l'administration Bush soient plus faciles a posteriori. «Une énorme majorité des experts avant ces événements plaidaient pour une attitude très différente de celle que l'administration a adoptée», fait valoir le réalisateur.

Pour lui, la question se pose de savoir si les principaux architectes de la guerre, l'ancien secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld et son adjoint Paul Wolfowitz, devraient rendre des comptes. Les deux anciens responsables ont refusé de s'exprimer devant la caméra de M. Ferguson.

«Ils vont sûrement être jugés très durement par l'Histoire, et cela a déjà commencé», dit-il.