Le scénario tient sur moins de deux pages mais, pour l'industrie cinématographique, il s'agit déjà du succès de l'été.

Vendredi, une dizaine de représentants de l'industrie du cinéma, de passage sur la colline parlementaire, ont applaudi chaudement le projet de loi du gouvernement conservateur serrant la vis aux pirates de films dans les salles de cinéma au Canada.

Depuis des années, autant Hollywood que l'industrie canadienne font pression sur le gouvernement fédéral pour qu'il sévisse auprès des pirates qui leur feraient perdre des milliards de dollars par année.

En quelques paragraphes, le projet de loi déposé vendredi à la Chambre des communes propose d'amender le code criminel afin de créer deux nouvelles offenses. Une personne prise en flagrant délit d'enregistrement d'un film, dans une salle de cinéma, pourrait être passible d'un maximum de deux ans d'emprisonnement.

Si les autorités sont en mesure de démontrer que l'enregistrement est destiné à la vente, à la location ou à la distribution commerciale, la peine maximale grimperait à cinq ans.

Assis dans des salles obscures, les contrevenants utilisent de l'équipement de plus en plus discret et performant pour enregistrer les derniers succès projetés sur grand écran. Le résultat se retrouve souvent sur internet ou sur DVD, privant l'industrie, du producteur de film au gérant de la salle de cinéma, de revenus importants.

«C'est du vol, soyons honnêtes», lâche Kevin Tierney, producteur du film canadien à grand succès Bon cop, Bad cop. Deux jours avant la sortie du film en DVD en décembre dernier, la police de Montréal saisissait 2500 copies piratées de ce succès populaire qu'un homme tentait de vendre en faisant du porte à porte dans un quartier de Rosemont.

Pour M. Tierney, qui était présent à la conférence de presse du gouvernement, c'est là la preuve qu'il n'y a pas que les grands studios d'Hollywood qui sont victimes du piratage.

À l'heure actuelle, ce genre d'activités est interdit en vertu de la Loi sur les droits d'auteur, ce qui fait en sorte que seule la Gendarmerie royale du Canada peut intervenir. En d'autres mots, les pirates pris sur le fait subissent rarement les conséquences de leurs actes.

Les ajouts proposés au Code criminel permettraient aux services policiers municipaux d'intervenir, à la demande des exploitants des salles de cinéma.

«Ce produit est piraté dans nos salles de cinéma le vendredi, et se retrouve sur les tablettes à New York ou en Europe le lendemain. Vous pouvez voir le fléau que ça peut avoir», illustre le vice-président de Cinéplex pour le Québec et l'Ouest, Daniel Séguin.

En 2005, pour contrer les copies illégales de films, les États-Unis adoptaient des mesures similaires à ce que propose aujourd'hui le Canada.

C'est après ce changement à la loi américaine qu'on a vu une augmentation des copies produites au Canada, a expliqué la ministre du Patrimoine, Bev Oda, en conférence de presse.

La ministre admet que le gouvernement n'a pas tenté de chiffrer l'ampleur du problème, mais elle s'en remet à l'industrie qui estime que les copies illégales faites au Canada représentent entre 20 et 25 pour cent des films qui circulent sur ce marché illicite.

Les studios américains estiment que le problème les prive d'environ 6 milliards $ par année. Pour augmenter la pression sur le Canada, les studios Warner annonçaient récemment qu'ils annulaient toutes leurs projections promotionnelles, dont celles prévues du film Ocean's 13 ou du prochain épisode des aventures d'Harry Potter.

«En faisant cette annonce, on donne un outil aux salles de cinéma pour qu'elles fassent leur part», a fait observer Mme Oda, qui croit qu'il est important que cette pratique cesse, et pas seulement pour les grands distributeurs ou pour l'industrie d'Hollywood, mais aussi pour tous les artisans du cinéma et ceux qui vivent de cette industrie.

Probablement pour éviter de se faire accuser de plier devant les Américains, la ministre a souligné à plusieurs reprises l'importance de ce projet de loi pour l'industrie canadienne du cinéma, tout en mentionnant que les pressions de l'industrie ont débuté bien avant l'arrivée des conservateurs au pouvoir.

Daniel Séguin admet que ce n'est pas tous les jours que des employés de Cinéplex pincent un pirate dans une salle de cinéma. Mais les exploitants craignaient la réaction des grands studios américains face à cette activité illicite en croissance au Canada.

«On voulait s'assurer que le produit qui est destiné à l'Amérique du Nord soit distribué au Canada en même temps qu'aux États-Unis», explique M. Séguin, qui ajoute «qu'il y avait de la pression» de la part du puissant voisin du Sud.