Depuis la Révolution de Velours, en 1989, plusieurs Québécois ont réalisé, coproduit ou participé à des films ou des festivals en République tchèque. Christian Duguay y a tourné Joan of Arc et Hitler: The Rise of Evil. Sébastien Rose y a gagné le prix du public du Festival de Karlovy Vary pour La vie avec mon père. Le producteur Rock Demers est leur Christophe-Colomb, car sa relation avec le pays de Vaclav Havel est digne d'un «Conte pour tous».

En 1957, Rock Demers, alors étudiant à Paris, rencontre des artistes praguois en séjour dans la capitale française. Il a 23 ans.

Autour d'une bière, un peintre lui explique qu'ils doivent se déplacer à pied dans Paris, faute d'argent.

Le Québécois décide de leur "prêter" 100$. «Si vous passez dans notre pays un jour, même dans 10 ou 20 ans, nous vous le remettrons au centuple», promet le peintre.

L'année suivante, Rock Demers traverse le Rideau de fer pour se rendre au Japon en auto-stop. À Prague, il est accueilli en roi et en ami.

Le peintre l'introduit dans le cercle des artistes confirmés et lui présente les talents les plus prometteurs du cinéma, des arts visuels, de la musique et de la littérature.

C'est en assistant à la projection d'un film d'animation pour enfants de Bretislav Pojar, lors de ce premier séjour, que Rock Demers trouve sa voie. «J'ai compris que les films pour enfants pouvaient être de véritables oeuvres d'art», résume-t-il.

De retour à Montréal, il lance en 1965 la maison Faroun, spécialisée dans la distribution de films pour enfants. Et à la fin des années 70, il produit Le martien de Noël, le premier film québécois pour enfants... L'aventure des «Contes pour tous» est lancée pour de bon avec la fondation, en 1980, des Productions la Fête. Les 21 films de la série ont été traduits ou sous-titrés dans une quarantaine de langues et ont reçu, à ce jour, plus de 200 prix.

Milos, Jiri, Vojtech et les autres

Depuis 50 ans, des artistes de l'ancienne Tchécoslovaquie ont occupé une place importante dans toutes les étapes de la carrière de Rock Demers.

En 1963, il invite à Montréal plusieurs jeunes réalisateurs à l'occasion de la première semaine du cinéma tchèque tenue à l'étranger. Les Milos Foreman, Jiri Menzel, Vojtek Yasny et Karel Zeman qui ont depuis raflé des Oscars et autres prestigieuses statuettes.

De 1965 à 1980, Faroun sera la distributeur de nombreux longs et courts métrages tchèques un peu partout dans le monde.

Rock Demers a également produit ou coproduit trois films de Vojtek Yasny, un réalisateur qui occupe une place très particulière dans l'histoire du cinéma tchèque et dans la vie du producteur québécois.

En 1968, Yasny lance Mes chers compatriotes, une critique cinglante du communisme. Les salles sont bondées. C'est le film culte du Printemps de Prague. Faroun en achète les droits de distribution, mais au lendemain de l'invasion, les Soviétiques interdisent sa diffusion. «Une fonctionnaire tchèque m'a enjoint par écrit de retourner le film. Elle m'a expliqué au téléphone qu'elle aurait de graves ennuis si ce film était diffusé... tout en me demandant d'en faire une copie», raconte M. Demers.

Il décide de protéger cette femme et l'oeuvre de Yasny. Il en fait une copie et organise un visionnement privé auquel assiste, entre autres, Pierre Elliot Trudeau, alors premier ministre du Canada.

Rock Demers dépose ensuite la seule copie du film dans les voûtes de la Cinémathèque québécoise. Cette cachette est demeurée secrète pendant 40 ans.

Depuis 50 ans, Rock Demers a fait plusieurs fois le tour du monde. Quelle est place de la filière tchèque dans cette carrière?

«La plus grande Mes meilleurs amis au monde sont tchèques», résume-t-il, sans hésiter.

Les retrouvailles

Rock Demers, 74 ans, prépare à sa manière le 50e anniversaire de son premier séjour à Prague. Il compte tourner, l'an prochain, un film réunissant de nombreux artistes et artisans d'ici et du coeur de l'Europe. En plus de La Fête, des producteurs tchèques et allemands ont déjà confirmé leur participation au projet de porter au grand écran le livre La dernière quête de Gilgamesh.

Cet ouvrage de la Montréalaise d'origine tchèque Ludmila Zeman a reçu en 1995 le Prix du gouverneur général du Canada, dans la catégorie illustration. Il est inspiré de la plus vieille légende qui a laissé des traces écrites depuis les débuts de l'humanité.

«Cette légende parle de la quête de l'immortalité, un thème qui rejoint tous les publics. Le développement du projet est terminé. Je travaille actuellement à compléter le montage financier», précise M. Demers.