Il faut vraiment chercher très loin dans ses souvenirs de festivalier pour retrouver un moment pareil. Peut-être faut-il même remonter jusqu'en 1994, quand Once Were Warriors s'était imposé avec une telle évidence que l'identité du lauréat de la récompense suprême ne faisait plus aucun doute.

Sans rien présumer (la décision d'un jury est toujours imprévisible), il y a tout lieu de croire que Ben X, premier long métrage du Belge Nic Balthazar, figurera en bonne position au palmarès du FFM la semaine prochaine.

Hier, la projection matinale fut d'ailleurs marquée par une ovation de plusieurs minutes. De nombreux spectateurs se sont même spontanément levés pour applaudir au moment où le générique de fin a commencé à défiler.

Il est vrai que Balthazar, ancien critique de cinéma, propose ici un film bouleversant. Ben X aborde des thèmes difficiles - et très contemporains - sans jamais tomber dans le piège de la complaisance. L'auteur cinéaste a aussi su magnifiquement évoquer la force de l'imagination, véritable rempart contre une réalité insoutenable.

Ben (Greg Timmermans, stupéfiant) s'accroche en effet à son monde imaginaire. Le jeune homme, qui souffre d'une forme d'autisme, anesthésie son mal de vivre en se jetant corps et âme dans l'univers des jeux sur Internet. Il évolue ainsi dans une dimension parallèle où il a la possibilité de se réinventer en personnage héroïque.

C'est aussi dans ce monde virtuel que Ben tente de trouver ses repères. Comme s'il pouvait y trouver un moyen d'affronter la dure réalité qui l'attend chaque jour. Au grand désarroi de ses parents, Ben est en effet victime de harcèlement à l'école. Un reject qu'on prend plaisir à humilier en toutes circonstances. Parfois même de façon sadique.

Le récit aurait pu être déprimant; il est au contraire tonifiant. Balthazar, qui adapte ici pour le grand écran un récit qui était d'abord destiné à un roman (il a ensuite été adapté pour la scène), ne nous épargne pourtant rien du drame qui accable son protagoniste.

Mais le cinéaste emprunte ici une manière qui permet à Ben de s'extirper de toute forme d'apitoiement, et au film d'échapper à tout misérabilisme. Rarement a-t-on vu les mondes virtuel et réel s'intégrer de façon aussi harmonieuse. Présenté sous la forme de «témoignages» qui ne laissent aucun doute sur le dénouement de l'intrigue, le récit ne ménage pas les surprises. À cet égard, le dernier acte témoigne d'une fort belle audace.

Nic Balthazar expliquait hier que ce projet était né de la proposition qu'on lui a faite il y a quelques années «d'écrire un livre pour ceux qui ne lisent pas».

Au même moment, un fait divers est venu le troubler: le suicide d'un jeune homme de 17 ans, atteint d'une forme légère d'autisme. Un acteur a ensuite proposé à Balthazar de faire de cette histoire un monologue qui pourrait être joué sur scène. Deux cent cinquante représentations plus tard, la plus grande compagnie de production cinématographique flamande s'est engagée dans le projet de film.

«Nous étions enthousiastes à l'idée d'organiser la première mondiale de Ben X à Montréal, a déclaré l'auteur cinéaste. Le public européen est parfois trop cynique par rapport à des sujets aussi dramatiques. Voilà pourquoi nous préférions lancer le film en Amérique du Nord. Ben X étant quand même de sensibilité européenne, j'ai pensé que le public québécois était le mieux placé pour apprécier ce film. Vous avez le meilleur des deux mondes ici!»

À en juger par la réaction chaleureuse des festivaliers, Nic Balthazar a visiblement eu du flair.

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Ben X de Nic Balthazar. Aujourd'hui à 14 h au Cinéma Impérial.

Un monde coloré

Abel Ferrara, l'un des rares cinéastes connus à concourir dans cette compétition, propose une galerie de personnages pour le moins colorés dans Go Go Tales. Celui qui compte à son actif des films comme King of New York, Bad Lieutenant et The Funeral emprunte cette fois le ton de la comédie dramatique déjantée pour plonger dans l'univers d'un gérant de cabaret. Willem Dafoe incarne celui qui veille aux destinées du Ray Rubi's Paradise, une boîte jadis très courue, aujourd'hui très défraîchie. Entre les strip-teaseuses qui exigent qu'on leur verse leur cachet, une proprio à la langue bien pendue qui réclame le paiement du loyer (formidable Sylvia Miles) et tout le personnel de «soutien», Ray doit trouver des solutions à ses graves problèmes financiers.

S'appuyant sur des acteurs qui peuvent mettre à profit leur talent en improvisation, Ferrara s'amuse visiblement à dépeindre un monde en perdition. Le récit tourne parfois un peu à vide, mais le regard du cinéaste, à la fois caustique et tendre, reste toujours aussi singulier.

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Go Go Tales d'Abel Ferrara. Aujourd'hui à 16h30 au Cinéma Impérial.