Il n'y a pas de compétition officielle au Festival de Toronto. Mais Denys Arcand a quand même dû affronter un concurrent de taille hier matin. Au moment où avait lieu la projection de L'âge des ténèbres réservée aux journalistes et membres de l'industrie, Woody Allen se prêtait au jeu de la conférence de presse quelques rues plus loin.

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Forcément, les spectateurs furent un peu moins nombreux à la projection du nouvel opus d'Arcand. Et très silencieux. Contrairement à Cannes, où les journalistes expriment spontanément leur affection, leur aversion ou leur indifférence, on ne peut mesurer ici l'accueil d'un film avec exactitude.

Une chose est certaine: la version présentée dans la Ville reine est la version «internationale» de L'âge des ténèbres, plus courte de 7 minutes par rapport à la version présentée sur la Croisette. Très franchement, ces coupures ont eu un effet bénéfique.

À Cannes, Denys Arcand avait pourtant déclaré qu'à moins d'un revirement inattendu (une pression d'un producteur par exemple), le film présenté à la soirée de clôture constituerait la version finale. De son côté, la productrice Denise Robert louait les mérites d'une équipe qui avait mis les bouchées doubles afin d'arriver sur la Croisette avec une version définitive, histoire d'éviter les versions multiples à la Invasions barbares.

Or, voilà que L'âge des ténèbres s'apprête à entreprendre sa carrière commerciale avec deux versions différentes. La première, présentée ici, est d'une durée de 104 minutes et voyagera partout dans le monde, y compris en France (où le film prend l'affiche le 26 septembre). La seconde, d'une durée de 108 minutes, est plus courte de deux minutes et demi par rapport à la version cannoise. Celle-ci est destinée uniquement au marché québécois, où le film prend l'affiche le 7 décembre.

«Il s'est passé deux choses, expliquait hier Denys Arcand au cours d'une entrevue accordée à La Presse. D'abord, j'ai changé d'idée en voyant le film à Cannes. J'estimais qu'il fallait couper un peu dans la scène médiévale. Ensuite, certains distributeurs en Europe trouvaient que certaines références spécifiquement québécoises passaient mal la rampe. Le distributeur italien, avec qui je fais affaire depuis toujours, a même organisé des projections test à Rome et à Milan. Et il en est venu à cette conclusion. Je n'ai aucun problème à me plier à ces exigences car ces gens connaissent beaucoup mieux leur marché que moi.»

À la veille de la carrière commerciale du film, Denys Arcand prend de toute façon les choses avec philosophie. Quelques heures avant de fouler le tapis rouge du Roy Thomson Hall, l'auteur cinéaste disait même être serein.

«C'est l'un des seuls avantages de l'âge avancé, fait remarquer le chef de file du cinéma québécois. Peu importe l'accueil réservé au film, cela ne change plus rien à ma vie maintenant. Évidemment, je souhaite que le film soit apprécié. Mais je ne suis plus à cette étape où ton existence dépend carrément du succès de ton film. Si, par exemple, Le déclin de l'empire américain n'avait pas fonctionné, je ne ferais probablement aujourd'hui plus de cinéma. J'étais dans la quarantaine à l'époque et j'avais carrément l'impression de jouer ma vie. Et c'est très dur. Ce sera probablement très difficile pour Denis Villeneuve quand il présentera son prochain film.»

Aussi n'est-il pas question pour Arcand d'aller assurer le service après-vente de son nouveau film aux quatre coins de la planète. Pas question pour lui non plus de recommencer l'interminable tournée de promotion à laquelle il s'était prêté à contrecoeur pour accompagner Les invasions barbares. C'est d'ailleurs de cette tournée, qui l'avait épuisé, qu'est née l'idée de L'âge des ténèbres.

«Très franchement, cela m'a tué. Je me suis alors demandé quel individu pouvait bien rêver d'être à ma place. Et j'en suis venu à penser à cet homme dont la vie est tout à fait à l'opposé de la mienne, mais avec qui, en un sens, je partage un sentiment fraternel.»

Le cinéaste a ainsi conclu une entente avec son équipe afin de réduire au strict minimum ses obligations médiatiques. Et si jamais L'âge des ténèbres devait obtenir des distinctions semblables à celles qu'avaient obtenues Les invasions barbares à l'étranger, quelqu'un d'autre ira chercher les trophées.

«Je suis trop vieux, dit-il. Vu de l'extérieur, tout cela apparaît fort enthousiasmant mais j'ai vraiment l'impression qu'on m'a volé un an de ma vie. À mon âge, il ne m'en reste pas tant que ça au compteur. Je veux ainsi profiter pleinement des années qui me restent. Je m'envole bientôt pour Paris pour accompagner la sortie du film là-bas mais c'est le seul voyage à l'étranger que je ferai. Après, c'est terminé.»

Même s'il a déjà été présenté à Cannes et à Toronto, et même si la sortie commerciale du film a lieu dans moins de deux semaines en France, la productrice Denise Robert affirme de son côté que la vraie naissance de L'âge des ténèbres aura lieu au Québec en décembre.

«Nous ne sommes pas aussi familiers avec les autres marchés, fait-elle remarquer. Même le territoire français. Tout cela reste très abstrait. Voilà pourquoi je dis que la vraie sortie du film, c'est au Québec qu'elle aura lieu. Ce sera un peu comme venir présenter un nouveau-né à la famille.»