«J'ai voulu faire un film d'enquête, et c'est ce que je pense avoir fait, en laissant les faits parler d'eux-mêmes. Mais je comprends ceux qui voient le résultat comme une mise en accusation», a dit à La Presse le réalisateur de No End in Sight, Charles Ferguson.

Mise en accusation de l'administration Bush pour la catastrophe irakienne, c'est bien l'impact durable de ce film troublant de 102 minutes, qui passe ce soir et demain soir (19 h 30) au Cinéma du Parc, à Montréal.

L'entourage présidentiel s'en inquiète en tout cas, comme aucun des nombreux autres documentaires sur la guerre d'Irak ne l'a inquiété.

«C'est ce que je lis dans les journaux et j'entends autour de moi», a confié Ferguson, dont c'est le premier film, réalisé à l'âge de 52 ans, film qu'il a lui-même financé au coût de 2 millions US.

«C'est peut-être pourquoi le Congrès va visionner le film le mois prochain», a-t-il ajouté, en soulignant que ce visionnement était organisé par «un comité bipartite».

Des «témoins clés»

Là réside la force de No End in Sight: pas de parti pris flagrant, pas d'agit-prop stridente, mais une rigoureuse recherche des causes pour comprendre comment l'Irak en est arrivé là, après plus de quatre années d'occupation armée états-unienne.

Un autre film de «têtes parlantes», certes, mais les 36 personnages interrogés sont des acteurs de l'occupation, pas des observateurs extérieurs. Ce sont des insiders, comme le général Jay Garner, le colonel Paul Hughes, l'ambassadrice Barbara Bodine.

Ils sont des «témoins clés» de toute enquête préliminaire qui conduirait à un projet de destitution de George W. Bush ou à une inculpation de Dick Cheney, Donald Rumsfeld ou Condoleezza Rice, qui ont tous refusé de parler au réalisateur.

La narration est fournie d'une voix sobre et sur un ton mesuré par Campbell Scott, acteur, réalisateur et producteur lui-même. «J'ai tout fait pour que le public ne classe par mon film a priori comme une dénonciation de plus de la guerre», a dit Ferguson.

Trois erreurs

Mais la dynamique des témoignages converge sur trois «erreurs capitales» de Paul Bremer, qui a remplacé Jay Garner comme chef du régime d'occupation en mai 2003. Il s'est opposé à la formation rapide d'une gouvernement irakien, a décrété la débaassification (jetant au chômage tous les fonctionnaires de l'ancien régime car il fallait être membre du parti de Saddam Hussein pour avoir du travail), et il a ordonné la dissolution de l'armée.

Garner, Hughes, Bodine et les autres rappellent constamment leurs vains efforts pour faire entendre raison à Bremer - qui refusait même de les recevoir. Bremer improvisait, sans proposer de plan cohérent d'occupation.

Cela a engendré l'éclatement et le renforcement de l'insurrection, avec les anciens baassistes et soldats en tête, et non Al-Qaeda. L'anti-plan de Bremer a été le géniteur de l'insurrection et des guerres civiles multiples qui déchirent l'Irak aujourd'hui.

«Le film contient seulement 1% des témoignages que j'ai recueillis. L'ensemble des témoignages sera publié bientôt sous forme de livre», a dit Ferguson, qui souhaite «faire d'autres films, y compris de fiction, si le monde me le permet».

No End in Sight, 102 minutes, Charles Ferguson, Cinéma du Parc, Montréal 19 h 30, ce soir et demain soir.