«Il n'y aura jamais assez de documents et de films sur le génocide rwandais!» Roméo Dallaire et Roy Dupuis pourraient certes reprendre cette citation à leur compte mais celle-ci n'émane pas d'eux. Elle vient plutôt du cinéaste Raoul Peck qui, en 2005 au Festival de Berlin, commentait le fait que deux films abordant la tragédie rwandaise, Hotel Rwanda (Terry George) et Sometimes in April (le film de Peck) aient été sélectionnés dans la programmation officielle cette année-là.2003, a aussi déjà fait l'objet d'un documentaire, réalisé par Peter Raymont. Aujourd'hui, Shake Hands with the Devil (J'ai serré la main du diable en version française) s'apprête à gagner les écrans du Québec sous la forme d'un film de fiction dans lequel on tente de recréer le plus fidèlement possible les événements dont le général a été témoin.

«Il est un peu malheureux que notre film ne soit pas le premier, déclarait Roméo Dallaire au cours d'une interview réalisée au Festival de Toronto. Cela dit, je crois que les gens apprendront quand même beaucoup de choses car nous replaçons les événements dans leur contexte. Voir les autres films, c'est bien, mais le nôtre est plus près de la réalité. Surtout, nous proposons une réflexion au spectateur, notamment sur la façon dont nous avons laissé les politiciens prendre de si mauvaises décisions par rapport au Rwanda.»

Aussi le lieutenant-général, commandant d'une mission des Nations unies au Rwanda au moment du génocide, voit-il dans ce projet, dont il est l'instigateur, une façon de prolonger la démarche entreprise avec la rédaction de ses écrits autobiographiques. Il compte aussi faire en sorte que la tragédie rwandaise ne sombre pas dans l'oubli, ni dans le révisionnisme. 

«C'est une manière de poursuivre la mission, dit celui en qui le Rwanda est toujours présent. Le cinéma peut atteindre des millions de spectateurs. Il peut aussi servir d'outil pédagogique.»

Le réalisateur Roger Spottiswoode, dont la filmographie compte autant de productions hollywoodiennes (Air America, Tomorrow Never Dies) que de films un peu plus ambitieux sur le plan artistique (And the Band Played On, Mesmer), a ainsi été mis à contribution. Ce dernier a toutefois beaucoup hésité avant d'accepter la proposition.

«Quand on m'a offert la réalisation de ce projet, j'ai même spontanément refusé! confiait d'ailleurs le cinéaste, présent lui aussi au Festival de Toronto. Comment, en effet, faire écho à une telle tragédie le plus honnêtement possible sans tomber dans les effets mélodramatiques ou la formule hollywoodienne? J'ai discuté de tout cela avec un ami cinéaste. Qui m'a fait comprendre que je n'avais pas le droit de me défiler. Cette histoire est trop importante.»

Un rôle essentiel

L'une des préoccupations du cinéaste consistait en outre à faire écho aux déchirements intérieurs du général, qui n'a pas pu faire arrêter le massacre, de même qu'au sentiment de culpabilité qui a ravagé ce dernier.

«L'une des consignes que m'a données le général était de ne surtout pas faire de lui un héros, révélait Spottiswoode. Roméo Dallaire est toutefois resté discret pendant le tournage du film. Il n'a d'ailleurs pas voulu accompagner l'équipe au Rwanda, où les endroits où il a vécu lui-même ont servi de décors.»

«Une fois l'accord donné et le contrat signé, les artisans n'étaient pas tenus de prendre mon avis en compte, précisait à cet égard le lieutenant-général, nommé au Sénat en 2005 par Paul Martin. On m'a quand même consulté au fil de l'écriture des différentes versions du scénario. Un de mes officiers a aussi servi de conseiller technique pendant le tournage. On m'a par ailleurs téléphoné de temps à autre pour vérifier certaines choses.»

Spottiswoode, qui souhaitait atteindre la plus grande authenticité possible, n'hésite pas à dire que cette expérience est de celles qui changent une vie.

«C'est de loin le film le plus difficile auquel je me suis attaqué. And the Band Played On était aussi éprouvant sur le plan émotionnel mais la tragédie du Rwanda dépasse tout ce qu'on peut imaginer.»

À cet égard, le cinéaste estime essentiel le rôle du cinéma pour frapper les esprits.

«Un film peut aider à amener les gens - même tranquillement - à réfléchir à certaines questions. Avec la tragédie qui a lieu présentement au Darfour, et les autres qui suivront probablement, il est important que les gens soient conscientisés. Il faut aussi qu'ils laissent savoir à ceux qui les dirigent que la manière dont ils votent aux Nations unies leur importe. Et que la lâcheté dont les pays occidentaux ont fait preuve pendant le génocide rwandais est inacceptable.»

Shake Hands with the Devil (J'ai serré la main du diable en version française) prend l'affiche le 28 septembre.