De La haine à Eastern Promises, Vincent Cassel multiplie les rôles tourmentés et violents dans les films sombres. On le verra bientôt dans la peau du criminel Jacques Mesrine. Encore une fois, pas le beau fixe. À l'écran. À la vie, c'est autre chose. Rencontre avec un acteur bien dans sa peau. Et celle des autres.

Vincent Cassel a la gueule de l'emploi. Dit-on. Celle qui lui permet d'être crédible quand il prête ses traits à des personnages aux mauvais penchants, violents, tordus. Instables. Tourmentés. Kirill de Eastern Promises de David Cronenberg, pour donner un exemple tout récent. Ou Vinz de La haine de Mathieu Kassovitz, pour rappeler le rôle qui l'a mis en lumière. Ou encore Jacques Mesrine, pour évoquer la personnalité qu'il endosse actuellement.

Car c'est à cette fin qu'il se trouve au Québec depuis une quinzaine de jours, pour tourner certaines parties de L'ennemi public no1 - première partie d'un diptyque coproduit par Remstar et réalisé par Jean-François Richet, dont la sortie est prévue pour l'automne 2008. La seconde partie, L'instinct de mort, doit sortir au printemps 2009.

La gueule de l'emploi, donc. Et pourtant. L'homme qui s'installe face à quelques journalistes montréalais invités cette semaine à le rencontrer, dans un hôtel chic de la métropole, est détendu, souriant. La chemise est assortie à ses yeux, et c'est le bleu au beau fixe qu'on voit là, pas le gris tempête. Quant à la poignée de main, elle est aussi solide qu'avenante. Le sourire, pas carnassier. Ou juste assez, quand il renvoie la balle du tac au tac à ses interlocuteurs.

«Vous savez, avant La haine, on la trouvait trop gentille, trop sympa, ma gueule, pour m'imaginer dans des rôles de méchants... ou plutôt, d'antihéros», fait l'acteur qui n'aime pas les termes - simplistes - de «méchants» et de «gentils». Et qui, depuis sa performance marquante devant la caméra de Mathieu Kassovitz, se fait offrir des rôles qui l'attirent davantage, «des personnages moins lisses et placés, dans leur vie, à un moment où l'équilibre change».

L'ambiguïté de Mesrine

Il en va ainsi de Jacques Mesrine, le gangster français très médiatisé qui a multiplié les braquages de banque et les évasions spectaculaires, qui a avoué 43 meurtres - dont ceux de deux gardes-chasse québécois - et qui mourra le 2 novembre 1979 à Paris, sous les balles des policiers.

«Ce que je trouve intéressant, c'est la dichotomie énorme qui existe entre ce que les gens gardent de lui - beaucoup le voient encore comme un emblème - et ses actes. Dans les années 70, il était vu comme un empêcheur de tourner en rond. Son image a été récupérée par la presse de gauche. Ça lui allait parce qu'il avait un ego énorme. C'est ce qui a causé sa mort», indique Vincent Cassel, associé à ce projet depuis des années.

Un projet qui a connu bien des vents contraires avant que le premier tour de manivelle ne soit donné. «Obtenir le financement pour un grand film à grand spectacle qui met en scène un antihéros et non un héros, c'est compliqué», explique l'acteur. Et puis, il fallait trouver le réalisateur, un scénariste. Un ton. «L'idée n'est pas de l'immortaliser encore plus, ni de faire l'apologie de sa violence. Mais ce n'est pas non plus d'en faire une sale tête de con.»

Ont compris cela, le scénariste Abdel Raouf Dafri et le réalisateur Jean-François Richet (Ma 6-T va crack-er, Assault on Precinct 13). Leur manière est à l'ambiguïté. Comme le personnage.

Enfin, il y a à présent la possibilité de dire. Tout. «En six ans, nous avons parlé à tout le monde. La famille, les victimes, les gens qui l'ont côtoyé, ceux qui l'ont arrêté. Le film contient même des scoops», assure Vincent Cassel qui a pris puis perdu 20 kg pour modeler son apparence sur celle d'un personnage qu'il incarne sur une longue période de temps. «Nous pouvons même utiliser les vrais noms, puisque le procès est terminé.»

Le procès? «La famille de Mesrine avait tendance à dire qu'il a été assassiné sans jugement et la police répliquait en disant qu'il y avait eu sommation. Ça s'est conclu par un non-lieu il y a un an», poursuit le comédien qui retournera à Paris, puis se rendra en Algérie et en Espagne afin de compléter un tournage de huit mois qui se terminera en janvier.

À ses côtés, les Gérard Depardieu, Ludivine Sagnier, Cécile de France. Et plusieurs acteurs québécois, dont Roy Dupuis (qu'il a croisé à Paris il y a presque 25 ans, pour une audition dans un projet qui se s'est jamais fait!) dans le rôle de Jean-Paul Mercier, le comparse de Mesrine au Québec. «En Amérique, on n'arrêtait pas les bandits, on leur tirait dessus. Avec Mercier, qui n'avait plus rien à perdre, Mesrine a appris plus vite et de manière plus violente. Après ça, pour lui, la France, c'était comme Disneyland.» Les coups de feu remplaçant les feux d'artifice, quoi!