Daniel Langlois me reçoit au Café Méliès, dans son complexe Ex-Centris. L'homme d'affaires et mécène, fondateur de Softimage, célèbre ces jours-ci les 10 ans de sa Fondation, qui soutient artistes et organismes s'intéressant aux nouvelles technologies.

L'ancien président du conseil d'administration du Festival du nouveau cinéma (FNC) était de la mésaventure du défunt Festival international de films de Montréal (FIFM), chapeauté par Spectra en 2005. Discussion autour de Montréal.

Marc Cassivi: Quelle est ton implication dans le FNC cette année?

Daniel Langlois: Je soutiens le festival avec les infrastructures d'Ex-Centris. Les déboires des festivals m'ont beaucoup refroidi. Je n'ai plus le goût de mettre mes énergies là-dedans. J'ai tellement de choses à faire. L'histoire des festivals a consommé beaucoup de mes énergies, pour peu de résultats sur le plan créatif, alors que pendant les sept années précédentes, c'était génial.

M.C.: Tu as beaucoup de regrets concernant la «guerre» des festivals?

D.L.: La raison principale pour laquelle je me suis impliqué dans l'autre festival (le FIFM), celui qui devait rassembler tout le monde, c'est que je savais que c'était difficile au Québec d'organiser de façon constante un événement viable économiquement et crédible sur la scène internationale. L'idée de faire un effort commun me semblait intéressant. Ce n'est pas ce qui s'est passé. Le principe de base était bon, parce que Montréal n'est pas une grosse ville, et rassembler les forces vives était la voie à suivre. Mais ce n'est pas ce qui a été livré comme produit, et ce n'est pas l'attitude qui a été adoptée. Je me suis embarqué dans ce projet pour le contenu, et il n'en a pas été question.

M.C.: Je voulais te parler de Montréal. De ton sentiment vis-à-vis des questionnements sur les festivals, les infrastructures, le financement de la culture. Es-tu inquiet pour ta ville?

D.L.: Je pourrais vivre ailleurs, mais je vis à Montréal plus de la moitié du temps. C'est un choix. Parce que Montréal, c'est une ville qui me plaît. Et qui me plaît entre autres parce qu'effectivement, certaines choses sont tout croches. Sinon, ce serait bien plate. Mais ce qu'il y a de décevant, c'est qu'on rate beaucoup d'occasions. Ce qui semble nous manquer, au niveau politique, et même corporatif, c'est de prendre des risques, tant au niveau culturel que financier. Les gens d'ici n'embarquent pas dans les projets plus originaux, qui risquent de rapporter à long terme. Aussitôt qu'il y a des idées qui "poussent l'enveloppe" un peu trop fort, on a tendance à réagir. On sent une gêne, un refus d'agir, et d'aller chercher les fonds nécessaires pour agir. Pour faire des affaires, ça prend de l'argent. Si tu es gêné d'aller chercher l'argent, t'en auras pas. C'est aussi simple que ça.

M.C.: As-tu des idées précises pour Montréal?

D.L.: Je ne me suis pas penché sur ça beaucoup. J'essaie quand même le plus possible, dans mon entourage, de faire bouger les choses. J'essaie de préserver le patrimoine et de le rendre vivant. C'est ce que j'ai essayé de faire avec le 357C (son club privé dans le Vieux-Montréal), qui n'était pas protégé par les gouvernements. Tu me demandes si j'ai des idées précises? Je pense que ce serait intéressant que plus de gens d'affaires fassent des efforts communs, créent des fonds pour le développement de la ville. Ils ne le font pas tellement. Je pense que l'implication de citoyens corporatifs devrait être plus grande, et qu'on pourrait pousser nos maires à aller plus loin. Ça peut être directif sur les maires aussi. On ne veut pas juste que tu répares nos trottoirs, mais aussi que tu aies des projets pour la ville au complet, et on est prêts à te soutenir. Il n'y a rien de mal là-dedans. La gêne par rapport à l'argent est aussi présente chez nos politiciens.

M.C.: On ne se donne pas les moyens de nos ambitions. J'étais à Chicago récemment. C'est incroyable comment cette ville-là s'est développée depuis 15 ans.

D.L.: J'allais justement te donner l'exemple de Chicago. Il y a un maire génial à Chicago. Mais il est soutenu par le privé. Quand il présente ses projets un peu fous, il arrive à les faire financer. Il traite ça comme une business. Ce n'est pas parfait Chicago, mais le maire sait impliquer le secteur privé. Les entreprises, en retour, ont un sentiment d'appartenance à la ville.

M.C.: Leur image corporative est liée à un lieu...

D.L.: Exactement. Et c'est une tradition qu'il faut qu'on développe ici. Ça pourrait faire toute la différence, notamment pour les grands projets de la ville, qui sont difficiles à financer mais qui sont au coeur de ce que l'on prétend être, c'est-à-dire une ville culturelle. Les gouvernements doivent continuer à s'impliquer, mais le privé a un rôle plus grand à jouer.

M.C.: As-tu été déçu par le projet de casino avorté du Cirque du Soleil et de Loto-Québec?

D.L.: Oui. Parce que c'était un projet intéressant. Je ne veux pas parler du site, parce que je ne sais pas si c'était le meilleur. Je comprends les inquiétudes des gens du quartier, mais je crois qu'il n'y a pas eu d'échange, il n'y a pas eu de communication. Je trouve ça très dommage. Le Cirque est ici. C'est l'une de nos plus grosses entreprises culturelles. C'est une entreprise qui répand son contenu à travers la planète. Le Québec se reflète à travers ça. Le projet aurait définitivement pu être bénéfique pour Montréal, mais il n'y a pas eu de dialogue. C'est le problème qu'on a souvent.

M.C.: Le milieu des affaires a beaucoup blâmé les organismes sociaux, entre autres, pour l'échec du projet de casino. Je me suis intéressé au dossier, et il y avait effectivement des problèmes majeurs avec ce projet-là. J'ai été déçu à l'époque par la réaction de Guy Laliberté, qui a dit en somme: «Si c'est comme ça, je vais aller voir ailleurs». Je comprends sa déception, mais j'ai trouvé sa réaction exagérée.

D.L.: Il a mis toutes ses ressources à développer un projet qui n'a pas fonctionné. Il a pris la décision de passer à autre chose parce qu'il avait sans doute d'autres occasions qu'il ne voulait pas rater. Malheureusement, il n'y a pas eu de dialogue tant au niveau du cirque que des autres intervenants. On doit pouvoir se parler même si on ne s'entend pas. Parce que je suis d'accord avec toi. Je ne suis pas sûr que c'était l'endroit idéal pour le projet, ni la meilleure façon de l'implanter à Montréal. Mais le projet avait intrinsèquement des aspects intéressants pour la ville. Il faut apprendre à se parler. C'est ce qui est arrivé avec les festivals de films. Je me suis impliqué très vite, même si on m'a un peu tordu le bras pour que je le fasse, mais je me suis retiré assez rapidement aussi, parce qu'il n'y avait pas de discussions de contenu. Il n'y avait que des discussions d'egos. Des egos, ça sert à défoncer des portes, pas à faire des projets communs. Ce projet-là (le FIFM), beaucoup plus petit que celui du cirque, a foiré en grande partie pour des questions d'ego et de positionnement. Les gens du festival (Spectra) ont dit: «On sait comment faire des grands festivals». La communauté du cinéma a dit: «Voyons donc. C'est qui ces gens-là?» Encore une fois, il n'y a pas eu de communication et on a raté une belle occasion. Ce que je regrette, c'est que les gens aient tenté de se positionner personnellement plutôt que de mettre de côté leur ego.