Révélé aux cinéphiles du monde entier grâce aux films de Wong Kar-wai, avec qui il a tourné à six reprises, Tony Leung explore aujourd'hui une facette différente de sa personnalité d'acteur dans le nouveau drame d'espionnage réalisé par Ang Lee.

Les films d'Ang Lee sont habituellement très pudiques. De The Wedding Banquet à Sense and Sensibility, de Eat Drink Man Woman à The Ice Storm, le cinéaste d'origine taiwanaise a toujours préféré l'évocation à la démonstration. «Même dans Brokeback Mountain, il n'y avait rien d'explicite sur le plan sexuel», faisait d'ailleurs remarquer le cinéaste récemment au cours d'une interview accordée à La Presse au Festival de Toronto.

Lust, Caution (Désir, danger en version française), l'adaptation cinématographique d'une nouvelle d'Eileen Chang, se démarque donc au chapitre de la représentation du sexe et de la violence à l'écran. «La situation l'exigeait, assure Ang Lee. Il fallait aller au bout de cette proposition afin que l'histoire reste crédible, même si, personnellement, je ne suis pas très à l'aise au moment de tourner de telles scènes. Cela n'a pas été facile. Mais il était essentiel d'illustrer l'exultation des corps pour comprendre la nature déchirante de cette histoire d'amour. Si nous ne l'avions pas fait de cette façon, je crois que nous l'aurions regretté.»

Lust, Caution est le premier film que tourne Ang Lee en Chine depuis Tigre et dragon. Lauréat de l'Oscar de la meilleure réalisation l'an dernier grâce à Brokeback Mountain, le cinéaste avait depuis très longtemps envie de porter à l'écran une nouvelle d'Eileen Chang (surnommée la «Jane Austen chinoise») qui se déroule à une période très rarement évoquée dans la littérature, encore moins au cinéma.

L'occupation de la Chine par les forces japonaises pendant la Deuxième Guerre mondiale est demeurée, jusqu'à tout récemment, un sujet tabou que les créateurs n'avaient pas le droit d'aborder de front. «Que nous soyons parvenus à élaborer ce film en Chine tient presque du miracle, commente Ang Lee. Auparavant, nous n'avions tout simplement pas le droit de parler de cette époque. Cela était interdit par la Chine communiste, tout autant que par les nationalistes taiwanais.»

Un drame d'espionnage

Campé au début des années 40, le film relate ainsi les efforts que mettent des étudiants - avec tout l'idéalisme que cela sous-entend - pour élaborer une stratégie de résistance. Leur plan consiste notamment à éliminer un agent chinois qui collabore avec les forces d'occupation japonaises. Leur arme fatale: une sublime jeune femme (Tang Wei, une nouvelle venue stupéfiante) qui rendra l'agent fou de désir.

Tony Leung, qui prête ses traits à celui qui est la cible du groupe d'étudiants, se rappelle encore très bien sa première rencontre avec Ang Lee à propos du tournage de ce film.

«Nous étions attablés dans un restaurant à Hong Kong, décrit l'acteur. Ang m'a montré le bouquin d'Eileen Chang, de même que des documents d'archives. J'ai été immédiatement happé par cette histoire, d'autant plus que j'y voyais une occasion de me glisser dans la peau d'un personnage tout à fait différent de ceux que j'ai incarnés jusqu'à présent. Ang ne m'a jamais expliqué comment il comptait tourner la scène d'amour, cela dit!»

Celui qui, au fil des ans, est devenu un porte-étendard du cinéma asiatique (il a notamment obtenu le prix d'interprétation du Festival de Cannes grâce à sa performance dans In the Mood for Love), a toutefois accordé sa pleine confiance au réputé cinéaste.

«C'était la première fois que je tournais sous sa direction et j'ai trouvé l'expérience très gratifiante, commente Tony Leung. Peut-être est-ce parce qu'il a déjà étudié l'art dramatique, toujours est-il qu'Ang sait comment parler aux acteurs. Il leur donne tous les outils nécessaires afin d'obtenir d'eux ce qu'il recherche. Cela dit, il est très exigeant. Quand on aime l'exercice de ce métier, c'est une vraie fête de travailler avec lui.»

«Quand est venu le jour où il ne pouvait plus éluder la question, poursuit-il, j'ai été un peu surpris par la manière très franche dont il voulait aborder la scène de sexe. J'étais d'autant plus étonné que les scènes d'amour, dans son cinéma, sont habituellement très pudiques. Il était pourtant clair qu'il n'y avait pas de voie d'évitement cette fois-ci, puisque cet élément est d'une importance capitale dans le récit. Et puis, des scènes d'amour, j'en ai déjà tourné plusieurs. Sauf qu'une scène de sexe comme celle-là t'oblige forcément à te questionner sur tes propres limites en tant qu'acteur. Mais ça tombe bien: j'aime les défis.»

Lust, Caution (Désir, danger en version française) prend l'affiche le 12 octobre.