Le jeune homme est sur un banc. Assis ou allongé. Une bise automnale balaie les feuilles mortes. Le fleuve et le ciel sont gris, et le jeune homme attend. Tout à l'heure, son banc lévitera. Pour l'instant, rien ne se passe et il ne fait que scruter l'horizon. Nous sommes à Montréal, dans le passé, ou le futur, dans la tête et dans les films de Jaco van Dormael (Toto le héros), qui tourne ici son premier film depuis Le huitème jour (1996).

Dans la vie, il y a deux tragédies, dit Jaco van Dormael. L'une est de ne pas réaliser ses rêves. L'autre est de les réaliser. Entre les deux tragédies, toute une variété de possibilités, de destins, de petits malheurs et grands amours. C'est à cet entre-deux que le Belge surdoué consacre son prochain film, Mr. Nobody.

Mr. Nobody, Nemo de son prénom, se réveille un jour à 120 ans. Son tracas, ce n'est ni d'être vieux ni d'être le dernier des mortels. Ce qui le taraude, Nemo Nobody, c'est toute une vie qui résulte de choix. Qu'auraient été sa vie et ses amours s'il avait suivi sa mère plutôt que son père?

Nemo va explorer, observer ses choix, et les autres. Avec l'onirisme triste qu'on lui connaît, Jaco van Dormael ouvre des tiroirs, laisse entrevoir des destins, avec leurs bonheurs et leurs tragédies, et chambarde ses personnages en Angleterre, au Canada, sur Mars, dans le passé, la préhistoire ou le futur.

«C'est l'histoire de plusieurs histoires d'amour impossibles», résume Jaco van Dormael, rencontré un jour gris et pâle de tournage, dans l'île Sainte-Hélène.

«Il y a une vie sur Mars. Et on ne sait jamais si c'est un type qui est sur Mars qui rêve à ce qui se serait passé sur la Terre s'il n'était jamais parti sur Mars ou si c'est l'adolescent qui rêve qu'il est sur Mars plus tard.»

Parce qu'elle appartient au rêve, Jaco van Dormael a d'abord publié l'histoire de Nemo en Europe l'an dernier, pour que ses lecteurs puissent créer leurs images, avant que le cinéaste n'impose les siennes. Dans le film Mr. Nobody, Jared Leto (American Psycho) prend les traits de Nemo. Nemo, adulte, aura pour amoureuses possibles Anna (Diane Krüger), Elise (Sarah Polley) ou Jeanne (Linh-Dan Pham).

La quête de Nemo se déploie en Belgique, en Allemagne, et au Canada. À Montréal, où Jaco van Dormael avait déjà rêvé de tourner son Toto le héros, Nemo erre à la recherche de ses amours perdues, vit sa vie rêvée dans l'église Saint-Barnabé, dans l'île Sainte-Hélène. Ambitieux, le film compte 120 jours de tournage et un budget de 33 millions d'euros.

Il y a des choses qui n'ont pas de prix, pourrait-on dire. Parmi elles, un film de Jaco van Dormael. Le réalisateur, aussi rare qu'apprécié, laisse le temps à ses histoires pour mûrir: plus de 10 ans se sont écoulés depuis Le huitième jour. Que s'est-il passé?

«J'écris lentement, j'ai vécu. Je me suis occupé de mes enfants», dit-il.

Mr. Nobody est aussi l'histoire d'une rencontre et d'un émerveillement réciproque, entre Jaco van Dormael et Sarah Polley (Away From Her). «C'est la seule actrice avec laquelle j'aimerais travailler toute ma vie.

La frêle actrice canadienne, dont le tournage s'est achevé la semaine dernière, ne tarit elle non plus aucun éloge: «Jaco est un génie. C'est le meilleur réalisateur avec lequel il m'a été donné de travailler. Je n'ai jamais, jamais, aimé une expérience comme celle-là», répond-elle sans ambages, quand nous la rencontrons, après le plateau, pour une visite surprise au réalisateur.

«C'est pour ça que je suis triste: ça va être dur de retravailler après ça.»

Pour Jared Leto, l'expérience vécue pour le tournage revêt aussi un caractère unique. «Jaco est très patient, attentif à tout. Il a vraiment ce genre de talent très européen», dit le comédien, travesti, tous les jours, pour le besoin du film. Tantôt barbu, tantôt vieux, tantôt préhistorique, Jared Leto a non seulement développé l'art de manger des cacahuètes sans trop ouvrir la bouche («Ma barbe est trop lourde», dit-il), mais aussi à «incarner autant de personnages».

Le travestissement affecte tous les acteurs, dont la belle Diane Krüger. Il faut s'y prendre à plusieurs reprises pour reconnaître l'égérie de Chanel quand elle débarque sur le plateau, brune, toute de grunge vêtue, aux bras de son nouvel amoureux, Joshua Jackson.

«Je suis très reconnaissante à Jaco de m'avoir choisie, ce n'était pas évident. Anna est grunge, goth, rock, et pour l'instant, beaucoup de cinéastes me voient dans des rôles de jolie fille, de princesse, de reine», dit-elle.

À l'issue de la visite de plateau, nous avons pu voir un montage monté à partir des premiers rushs du film. Oui, Mr. Nobody semble aussi prometteur dans sa réalisation qu'il l'est dans sa distribution et dans sa proposition. Pourtant, il faudra faire preuve de patience avant de voir Mr. Nobody sur les écrans. Après une année de post-production, le film sera fin prêt pour Cannes... en 2009. «Je ne me sens pas de pression», dit Jaco van Dormael, confiant dans son talent comme dans celui de son équipe.