Le tournage du film sur la vie du chanteur des Colocs, Dédé Fortin, est retardé... et écourté. Le producteur Roger Frappier montre du doigt Téléfilm Canada et ses propres collègues: «Pour la première fois en 20 ans d'expérience, c'est ma propre association qui me met les bâtons dans les roues.»

Jean-Philippe Duval devait tourner Dédé, à travers les brumes en trois blocs: cet automne, cet hiver et au printemps 2008. Plutôt que de commencer à filmer l'histoire du regretté chanteur des Colocs, Duval a dû se résoudre à récrire son scénario: son budget, d'abord évalué à 8,6 millions, a été amputé d'un million, et il devra se contenter de 45 jours de tournage au lieu des 55 prévus au départ.

«Julie Taymor a fait Across the Universe avec 100 millions US et nous on est obligés de faire la même chose avec sept millions canadiens», dit le producteur Roger Frappier qui a reçu moins d'argent que prévu de Téléfilm Canada et qui en impute la responsabilité à «l'horreur» commise par l'Association des producteurs de films et de télévision du Québec (APFTQ), dont il est membre.

L'an dernier à pareille date, l'APFTQ recommandait à Téléfilm Canada un plafond de 3,5 millions de dollars de subventions par maison de production, par année. Or Max Films, la compagnie de Frappier, a été très active en 2007 et elle ne peut plus toucher que 654 464 $ de Téléfilm sans dépasser le plafond permis.

Frappier fulmine: «C'est une mesure discriminatoire parce que c'est basé sur la langue. Au Canada anglais, il n'y a pas de limite semblable. Le producteur Niv Fichman a obtenu des subventions de 3,7 et de 2,2 millions de Téléfilm cette année.» Frappier a même consulté des avocats. «Ils m'ont dit que c'était véritablement discriminatoire, mais j'ai laissé tomber parce que ça m'aurait coûté trop cher; et si j'avais gagné, ce sont mes confrères qui m'ont empêché d'aller plus loin qui en bénéficieraient. Mais j'ai soumis le dossier à la Commission des langues officielles à Ottawa. Ils ont interrogé Téléfilm et ils sont en train de statuer sur l'aspect discriminatoire de cette politique.»

Frappier n'a pas non plus obtenu un sou de Téléfilm pour le long métrage Romaine par moins 30 d'Agnès Obadia, qu'il coproduit avec la compagnie française Agate Films. «Ça se tourne entièrement au Québec, tous les techniciens sont québécois, les acteurs aussi, à l'exception de l'actrice principale, Sandrine Kiberlain. Téléfilm et la SODEC organisent des rencontres en Europe pour solliciter des coproductions mais on revient ici et on n'a pas d'argent pour filmer. Je n'ai pas de mots pour dire la bêtise de ce plafond-là!»

Le mois dernier, au festival de Toronto, Frappier a fait part de ses griefs au président de Téléfilm Canada, Wayne Clarkson. «Il m'a dit que s'il recevait une lettre en ce sens de l'APFTQ, il y réfléchirait», raconte Frappier. «Wayne Clarkson ne m'a jamais dit ça, répond Claire Samson, présidente de l'association des producteurs. Mais c'est sûr qu'il va s'en servir, à partir du moment où on a dit qu'on préférait un plafond de 3,5 millions de subventions par entreprise plutôt que de limiter les budgets de tous les films à 3 millions. Les membres de l'Association ont voté majoritairement pour ce plafond pour s'assurer que tout l'argent n'aille pas chez Roger Frappier, chez Denise Robert ou chez Pierre Even. Roger est en beau fusil, avec raison. Mais il n'y a pas un membre de l'APFTQ qui était heureux de mettre des balises comme celle-là. Depuis deux ans, on n'a pas arrêté de hurler que le Québec est pénalisé pour sa performance. Le gouvernement du Québec a réagi en mettant 10 millions de plus dans le long métrage, mais le fédéral n'a jamais rien voulu entendre et il n'y a rien à court terme qui nous permette de penser que ça va changer.»

Pierre Ewen, le producteur de C.R.A.Z.Y., siège au conseil d'administration de l'APFTQ. Il est solidaire des décisions de son association même s'il est «plutôt d'accord avec Roger» et trouve la mesure de Téléfilm artificielle. «Nous (sa compagnie Cirrus) aussi risquons d'être touchés par le plafond l'année prochaine, et d'autres compagnies également; ça crée des casse-tête et provoque des maux de tête, surtout pour la coproduction.»

Le tournage de Dédé, à travers les brumes commencera donc à la mi-février pour se terminer au Festival d'été de Québec, en juillet. Une scène pivot du scénario d'origine, qui devait avoir lieu au Spectrum, a été coupée: «On a reporté le tournage pour ne pas faire des coupes sauvages qui mettraient en péril l'intégrité du film, dit Frappier. C'est sûr que si j'avais un million de plus, je le ferais, le Spectrum. Mais pour l'instant, je ne peux pas: c'est 1000 figurants, faut recréer le Spectrum dans un autre endroit...»

Jean-Philippe Duval a terminé la réécriture de son scénario et finalisé son casting la semaine dernière. Sébastien Ricard et Éloi Painchaud termineront l'enregistrement de la musique du film dans deux semaines. La compagnie de production Zone 3 y est associée. «Si Zone 3 n'était pas venue m'aider en devenant partenaire à la hauteur d'un million, ç'aurait été catastrophique, dit Frappier. Je n'aurais pas été capable de faire le film.»