Charlotte Laurier avait disparu du grand écran depuis 2 secondes, de Manon Briand. C'était en 1998. Et c'était un choix. Pour un temps. Puis, le désir de revenir est allé en augmentant. S'est fait pressant. Se concrétise dans Les plus beaux yeux du monde. Rencontre avec une femme de feu qui carbure à la volonté.

Elle arrive à bicyclette. Et soudain, par sa simple présence, le petit matin automnal gagne quelques degrés. Charlotte Laurier est lumineuse d'intensité. Son coeur ne bat pas, il cogne. Il rugit aussi. Parce que cette femme menue est une lionne. Pas en cage. Une lionne qui a un «petit»... à défendre, si on veut, mais surtout, à faire connaître. Son film.

Ce film du retour, Les plus beaux yeux du monde, dont elle a accouché à plusieurs titres: elle en a écrit le scénario; elle en cosigne la réalisation avec son mari, Pascal Courchesne; et elle y tient le rôle principal, entre autres entourée de ses trois filles. Une histoire de famille, quoi. Née au sein de sa famille. Un peu grâce à la famille. Mais, aussi, un peu à cause.

«L'idée de départ est folle, assume la comédienne. M'inspirer des gens qui m'entourent pour écrire un film... Mais je souhaitais mon retour et j'avais envie de me prendre en main. Parce que, depuis un temps, je me sentais terriblement malheureuse. Et mes enfants me voyaient dans cet état-là.» Ça, elle ne le voulait pas. Ne le voulait plus.

Ses enfants, ce sont ses filles. Carlotta, qui a 16 ans. La petite Stella. Qui interprètent ses filles dans le long métrage. Et Pialli, qui a 13 ans, qui joue du piano et adore les cheveux. Dans Les plus beaux yeux du monde, elle est Marion. Marion à l'aube de l'adolescence. Marion avant qu'elle ne devienne femme et mère. Avant qu'elle ne prenne les traits de Charlotte Laurier.

Marion adulte qui décide brutalement de lâcher. Lâcher prise. Abandonner tout. Et tous. À la recherche d'un souvenir. Celui de la liberté. Retour, ainsi, à un autre départ. Parce que Marion, d'origine française, a, autrefois aussi, quitté famille et pays. Elle était enfant de saltimbanques. Enfant du cirque. Enfant d'une femme, belle, qu'interprète Angela, l'une des soeurs de Charlotte Laurier.

Bref, la comédienne a mêlé les cartes de sa vie pour jouer une autre partie. En a pris les pièces pour dessiner un nouveau casse-tête. Qui connaît son parcours professionnel et personnel peut tracer des parallèles. Elle a fait cela sciemment. Oh, pas en guise de thérapie! Pas davantage pour régler ses comptes avec l'enfance marquée par le rôle de Manon dans Les bons débarras ni avec le rôle de mère - «si exigeant» - ni avec le milieu. «Je n'ai rien à dire contre le milieu», assurera-t-elle d'ailleurs à quelques reprises en entrevue.

Charlotte Laurier, de toute manière, ne s'en laisse pas imposer. Les choix qu'elle a faits, elle les a faits et les assume. Les rôles triés sur le volet, forts, de ceux qui transforment. Expériences «aussi merveilleuses que violentes». Le choix de la vie à la campagne, avec ses filles. Et puis, le choix-désir de revenir. Après avoir écrit deux pièces de théâtre (Capharnaüm et Autopsie femme), elle s'est mise à l'écriture des Plus beaux yeux du monde il y a deux ans.

Le projet a vu le jour grâce à sa volonté. Aussi, grâce à ses proches. Pour le soutien. Pour le savoir. Grâce à des mécènes. Pour l'argent. Et il y a autre chose. «Je ne peux plus dire que j'ai six soeurs», confie-t-elle en fin d'entrevue. L'une d'entre elles s'est suicidée. Elle avait 38 ans. «L'âge auquel j'ai commencé à écrire le film. Je n'en dirai pas plus. Je ne peux pas. Mais ce sera le sujet d'un prochain projet.» Auquel cette femme de feu brûle visiblement de donner le jour.

Les plus beaux yeux du monde sera présenté à la salle Fellini d'Ex-Centris, ce soir à 21 h 15 et demain à 13 h 15.