August Schellenberg ne compte plus le nombre de fois qu'il a joué l'Indien au grand comme au petit écran. Mais ce Montréalais d'origine mohawk a aussi joué Stanley Kowalski, Faust, Josef Staline et Wilbert Coffin. Aujourd'hui, il revient dans son Montréal natal pour recevoir le prix Gascon-Thomas, remis à Brigitte Haentjens et lui par l'École nationale de théâtre. Portrait du diplômé de 1966.

Dans le premier courriel qu'il m'a envoyé de Dallas, où il vit, August Schellenberg - Augie pour les intimes - s'inquiétait de son français et me priait d'être indulgente. Dans le deuxième, il était soulagé d'apprendre que l'entrevue pourrait se dérouler en anglais. Il n'y a pas eu de troisième courriel.

Seulement une rencontre au beau milieu du jardin luxuriant d'un manoir hollywoodien, début septembre. C'était la fin de semaine des prix Emmy et Augie, pour la première fois depuis ses débuts à la télé américaine, était finaliste pour son rôle de Sitting Bull dans Bury My Heart at Wounded Knee, de Yves Simoneau.

Contre toute attente, Augie n'avait absolument pas perdu son français. Même qu'il m'a accueilli avec un «Ah ben tabarnak!» aussi joyeux que tonitruant. Il était accompagné de sa femme Joan Karasevich, une actrice et chanteuse qu'il a rencontrée à l'École nationale de théâtre en 1963, et qu'il n'a plus jamais quittée depuis. Le couple a eu trois filles: Reena, Joanna et Sophia.

Afin que personne à Hollywood n'oublie ses origines amérindiennes, Augie avait ce jour-là soigné son look: collier en argent incrusté de turquoises sur chemise blanche, bottes pointues en peau de serpent, cheveux gris ramenés dans le dos en une épaisse natte. Le visage était toujours aussi expressif, mais avec une couche supplémentaire de patine due autant au soleil texan qu'à ses 71 ans.

Nous nous sommes assis sous une tonnelle qui fleurait l'hibiscus. D'entrée de jeu, Augie a tenu à m'apprendre qui était le grand héros de sa vie. Ce n'était pas Sitting Bull, qu'il a incarné trois fois au petit écran. Ni aucun autre Indien de renom même pas celui qui fait les pubs pour Lakota. Ce n'était pas un acteur non plus.

«Mon héros est une héroïne, fait-il avec un grand sourire. C'est ma mémère. Lisa de Chantigny qu'elle s'appelait. Elle avait 10 enfants et une maison de chambre au 1259, Dorchester. C'est là que je suis né, en juillet 1936, et que j'ai été abandonné par ma mère d'origine mohawk. Mémère m'a adopté et m'a aimé comme si j'étais son fils. Cette femme a été tout pour moi.»

Le Montréal d'August Schellenberg est celui des années 40, du maire Camillien Houde, de la bière Black Horse que le petit Augie, 10 ans, livre à vélo. C'est aussi la grande époque des cabarets qui fleurissent d'est en ouest: Chez Paris, El Morocco, le Bellevue Casino, autant de lieux disparus où le jeune Augie, grâce aux contacts d'un oncle, commence comme bus boy avant de gravir les échelons et de s'improviser maître de cérémonie.

«Vous ne le croirez pas, mais un soir on m'a demandé de présenter au public du Bellevue une chanteuse, pas très grande, pas très jolie et qui portait toujours une robe noire. C'était Édith Piaf.»

L'époque était florissante, on l'a assez dit, et le jeune métis qui a un sens inné du spectacle est apprécié des clients comme des patrons. Il aurait très bien pu faire sa vie dans les cabarets de Montréal, mais Augie avait déjà plus d'ambition qu'il ne voulait l'admettre. Le jour où il entend entre les branches que des auditions se tiennent à l'École nationale de théâtre, il décide de tenter sa chance.

«Le plus drôle c'est que je n'avais jamais vu une pièce de théâtre de ma vie. Je ne savais même pas c'était quoi une audition. En plus j'avais 27 ans et en principe j'étais trop vieux. Mais j'y suis allé pareil en mentant sur mon âge. C'est Jean Gascon et Jean-Pierre Ronfard qui m'ont fait passer l'audition. Ils ont fermé les yeux sur mon âge et j'ai été accepté immédiatement.»

August Schellenberg parle de ses années de jeunesse à Montréal avec affection. Il ne se souvient pas de tout mais des moments précis sont restés gravés dans sa mémoire. La dernière fois que Jean Gascon et Guy L'Écuyer sont montés sur les planches ensemble, est un de ceux-là. «Voir ces deux grands acteurs évoluer sur scène est quelque chose qu'on n'oublie pas facilement.»

Mais une fois son diplôme en poche, Augie ne s'éternise pas à Montréal. Dès 1967, il part avec Joan pour Stratford, où il plongera dans Shakespeare pendant une décennie entière. De temps à autre, on le verra à Montréal pour jouer dans L'affaire Coffin de Jean-Claude Labrecque ou Qui a tiré sur nos histoires d'amour de Louise Carré.

À Toronto, où il s'établit et fonde une famille, il tourne régulièrement à la télé, mais on lui confie le plus souvent des rôles d'Indien de service. «C'est toujours le même vieux problème, se plaint-il. Le Canada est incapable de reconnaître ses talents et nous force tous à nous exiler aux États-Unis.»

Après un bref séjour à Los Angeles, une ville qu'il ne porte pas dans son coeur, l'acteur s'est établi avec sa femme au Texas pour être proche d'une de ses filles. C'est là, affirme-t-il, qu'il joue son rôle préféré. Ni cowboy ni Indien, mais grand-père.