Un deuil, une idée, un tournage, puis... des mois d'angoisse. La naissance de Surviving My Mother, le prochain film du tandem Émile Gaudreault-Steve Galluccio (Mambo Italiano), n'a pas été une sinécure. Un monteur plus tard, ce long métrage qui navigue entre drame et comédie a pourtant réussi à tenir le cap: donner un nouveau sens à la mort. Rien de moins.

Steve Galluccio ne l'aurait pas cru s'il ne l'avait vu de ses yeux. Parce qu'il y a probablement un sceptique qui sommeille en lui. Mais surtout parce que la situation à laquelle il était confronté n'avait rien de banal. En 2001, peu avant que sa mère ne meure des suites d'un cancer généralisé, à 75 ans, il avait en face de lui une femme au teint jaune. Un jaune s'affirmant totalement. C'est que le foie ne laisse aucun répit à l'épiderme lorsqu'il est malade. «Même le blanc de ses yeux était jaune», se rappelle l'auteur de Surviving My Mother.

La mort d'un être si proche, dans de telles circonstances, a déboussolé Galluccio. «C'est tellement dur, raconte-t-il. Mais en même temps, j'ai compris bien des choses. Notamment que le corps n'est qu'une carcasse et que l'esprit est quelque chose de grand. Je ne sais pas en quoi je crois mais, à la suite du départ de ma mère, je me suis dit qu'il y avait quelque chose d'autre après la mort.»

Parce que c'est devenu une seconde nature, Galluccio a pris sa plume pour raconter une histoire inspirée de ce drame. Comme pour Mambo Italiano, Surviving My Mother a d'abord été une pièce de théâtre, élaborée en quelques mois en 2005. Mais l'envoi du texte tout chaud à la productrice Denise Robert, une amie, a mené à sa métamorphose en scénario de film.

Trois femmes

Galluccio met en scène un trio féminin. Une vieille dame malade et aigrie confinée à la maison de sa fille, (Véronique Le Flaguais), une altruiste qui s'oublie (Ellen David) et une étudiante qui n'utilise pas toujours l'Internet à bon escient (Caroline Dhavernas). «Contrairement à la mère du film, la mienne n'était pas aigrie, mais triste. Pourtant, être malade à ce point, je serais frustré. Déjà que j'enrage quand j'ai un rhume!»

Comme dans Mambo Italiano et la télésérie Ciao Bella, oeuvres précédentes de Galluccio, on braque la caméra sur une famille italienne. «Mais on montre une autre génération», note Galluccio.

«Reste que la tradition est un fardeau, ajoute Émile Gaudreault. La culpabilité teinte l'histoire.»

Comme dans Mambo Italiano, on joue aussi avec l'être, le paraître et ce qu'on aimerait être. «C'est quelque chose qui me fascine dans la vie, avoue Galluccio. On a tous des doubles vies. Dans la culture méditerranéenne, on est si déchirés entre la tradition et la modernité, le vieux et le nouveau. C'est difficile à concilier.»

«Les doubles vies, il n'y a que ça qui m'intéresse, ajoute Gaudreault. Car je suis à la recherche d'authenticité et que pour y arriver, il faut se transformer. J'ai fait 12 ans de thérapie. Je me sens bien de savoir qui je suis aujourd'hui!»

Gaudreault en a beaucoup à dire sur sa mère également. C'est notamment pour redéfinir qui elle est vraiment pour lui qu'il s'est allongé dans le bureau d'un psy pendant tant d'années. «En grandissant, j'ai mis ma mère sur un piédestal, raconte le réalisateur. Puis, elle est devenue humaine. La thérapie m'a sorti d'une illusion.»

Montagnes russes

La thérapie, pour l'un, et la mort, pour l'autre, ont débouché sur un questionnement identitaire, puis sur une nouvelle fiction. Un drame plus qu'une comédie cette fois. Cela dit, dans Surviving My Mother (Comment survivre à sa mère en version française), Gaudreault et Galluccio n'ont pu faire fi de l'humour qui émane de certaines situations. «Mon écriture a toujours été comme ça, note Galluccio. C'est une mécanique qui reflète la vraie vie. Vendredi dernier, un de mes oncles est mort subitement. Ce matin-là, j'étais heureux, puis bang! J'aime amener les spectateurs dans ces montagnes russes.»

Mais de là à s'offrir aussi un tour de manège... Tourner et monter ce film de 6 millions a été toute une aventure pour Émile Gaudreault, qui a douté à la limite du supportable. D'abord parce que ce membre du défunt Groupe sanguin flirtait officiellement avec le drame pour la première fois de sa carrière. «L'humour est presque une seconde nature, affirme le réalisateur. Là, j'ai eu la chienne pendant les 35 jours de tournage.»

Et une fois le tournage terminé, les vrais problèmes ont commencé! «Le premier jour de montage, le monteur m'a dit: ton film ne marche pas. Ce n'est ni drôle ni dramatique. Je suis revenu chez moi défait, liquéfié.»

Heureusement, après la pluie, il y a eu une éclaircie... et un nouveau monteur! «Au fil des jours de montage, le film s'est mis à avoir plus de tonus. On a finalement trouvé l'équilibre entre le drame et la comédie. On s'est vraiment concentré sur la relation entre les mères et les filles. Mais j'ai eu le temps de me dire que j'avais pris trop gros. J'ai frôlé la catastrophe!»

Ah! les mères...