En mai dernier, pour la première fois en 11 ans, un film roumain était présenté en compétition officielle au Festival de Cannes. Rapidement, journalistes et gens de l’industrie s’entichent de 4 mois, 3 semaines et 2 jours. Quelques jours plus tard, c’est la consécration. Le jury présidé par Stephen Frears lui décerne la prestigieuse Palme d’or, une première dans l’histoire du cinéma roumain.

Depuis ce jour mémorable, le réalisateur Cristian Mungiu ne s’appartient plus. Ce cinéaste inconnu, auteur d’un seul long métrage (Occident), a présenté son film dans plusieurs festivals à travers le monde. Une Palme d’or, ça ne change pas le monde, sauf que...

«Ma vie est un peu plus compliquée», avoue-t-il en entrevue téléphonique au Soleil depuis Bucarest. «La Palme d’or a contribué à donner une publicité incroyable au film, qui a été projeté dans plus de 60 pays. C’est devenu gros. La diffusion du film a connu une croissance exponentielle. Je ne peux évidemment l’accompagner à chaque endroit, mais j’essaie de le faire dans la mesure du possible. Partout, j’ai l’impression que je ne m’appartiens plus. Tout le monde veut avoir une partie de moi-même.»

Pour écrire son scénario, Mungiu s’est inspiré d’une histoire vraie, celle d’un avortement illégal à la fin des années 80, sous le régime Ceausescu. Une jeune femme (Anamaria Marica) aide sa locataire (Laura Vasiliu) à réunir l’argent afin de payer l’individu peu scrupuleux qui sera chargé de l’opération. L’acte comporte évidemment sa part de risques.

Instaurée en 1966, la loi interdisant l’avortement en Roumanie a été abolie en 1990, une fois le régime communiste tombé. On estime que plus de 500 000 femmes sont mortes, pendant cette période, après avoir voulu avorter clandestinement. À l’époque, l’avortement était vu comme une façon de défier le régime, comme un acte de protestation.

«En parlant avec des gens de ma génération, je me suis rendu compte qu’il y en avait beaucoup qui avaient vécu la même expérience, qui conservaient les mêmes souvenirs que moi. J’ai compris que l’histoire avait un potentiel d’émotions pour en faire un film. Je voulais faire un film à travers ma propre perspective, mon histoire et mes personnages, en toute liberté. Je voulais que la période communiste de l’époque en soit le contexte, non le sujet», poursuit Mungiu, qui avait 21 ans lors de l’exécution de Ceausescu et de sa femme, le 25 décembre 1989.

Le cinéma roumain, longtemps circonscrit à l’œuvre du vétéran Lucian Pintilié, peut maintenant s’enorgueillir d’une relève prometteuse, dont Cristian Mungiu est l’un des chefs de file. Sans parler de Nouvelle Vague, ces jeunes réalisateurs apportent une bouffée d’air frais, dans un pays où il se tourne une douzaine de films par année.

Si Mungiu se félicite de l’éclairage apporté par la Palme d’or sur le cinéma roumain et le travail de ses collègues, il croit que beaucoup reste à faire pour mieux le faire connaître dans son propre pays.

«Le financement et la distribution restent déficients. Il manque d’écrans pour les diffuser. En tant que producteur, je me heurte moi-même à tous ces problèmes. On doit se battre contre les grosses production américaines. Nous devons aussi affronter des préjugés d’une population qui garde le souvenir d’un cinéma national plus ou moins intéressant.»