Week-end d'aboutissement et d'espoir à Rouyn-Noranda. À l'occasion de l'ouverture du 26e Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue, Le peuple invisible a été offert à une foule d'inconditionnels de Richard Desjardins, de députés et de membres de communautés algonquines heureux de voir enfin leur triste histoire racontée.

«N'oubliez pas de rallumer vos cellulaires après la conférence de presse!» a lancé un Richard Desjardins baveux, en entendant des téléphones sonner. Au lendemain de la grande première du Peuple invisible, en ouverture du Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue, le chanteur avait intérêt à être aussi enjoué et alerte qu'un brigadier, malgré les heures de sommeil à rattraper.

Comme Serge Gainsbourg il y a 16 ans, Desjardins a eu droit à une conférence de presse pour satisfaire à la demande des journalistes. Un événement exceptionnel. «Les attentes sont tellement grandes pour ce film que ça demandait un encadrement différent», explique le vice-président Louis Dallaire.

Sans surprise, la longue rencontre a rapidement pris des allures de réunion politique. C'est qu'on n'accuse pas les coups d'un tel brûlot en restant muet. En bons gars, Desjardins et son acolyte Robert Monderie ont préféré donner beaucoup de temps de parole aux intervenants des différentes communautés algonquines présents. «On a vécu un génocide à feu doux, résume Jimmy Papatie, ancien chef du Conseil des Anicinapek de Kitcisakik. On a gardé notre lot de souffrances. Notre histoire mérite d'être racontée.»

«On a tenté de faire une oeuvre pédagogique, car on ne savait pas grand-chose des Algonquins, dit Desjardins. Quand on les aperçoit le long de la route 117 (dans le parc de La Vérendrye), on ne sait pas d'où ils arrivent et où ils s'en vont.»

Une oeuvre de patience

Tourné pendant trois ans dans sept des neuf communautés algonquines de l'Abitibi et du Témiscamingue, le documentaire fait la lumière sur un groupe divisé, pauvre, maltraité et laissé pour compte par les gouvernements. On tourne la caméra vers des localités sans électricité, on raconte les sévices subis par de jeunes Algonquins mis en pension dans des écoles catholiques, on énumère les droits bafoués de ces autochtones et on fait le bilan de leurs dépossessions territoriales.

Huit ans après L'erreur boréale, Desjardins et Monderie (qui travaillent en tandem depuis 30 ans) pourraient encore une fois changer un brin le cours de l'histoire. «La forêt, c'est un business de 20 milliards et un Indien, ça ne vaut rien, constate toutefois Desjardins. On n'aura pas la sympathie immédiate du public. Reste que le documentaire social est une forme très puissante.»

À chaque aventure, les deux hommes se montrent patients. Cette fois, ils ont dû se laisser apprivoiser par certains de leurs sujets. «Quand tu travailles avec les Algonquins, tu arrives avec un plan A, puis un plan B et C et tu reviens avec un plan D, schématise Desjardins. Cela dit, on ne sait jamais où on s'en va quand on fait des films. On l'apprend en les faisant.»

Avant d'aboutir à un film de 90 minutes au budget de 600 000 $, ils ont cumulé 90 heures de matériel. «Quant à notre salaire... on est très contents d'avoir pu contribuer au remboursement de la dette publique!» a blagué Desjardins, en ouverture de festival, samedi soir.

Le peuple invisible (en salle dans le reste du Québec le 23 novembre) pourrait par contre concrétiser les rêves et demandes répétées des membres des communautés algonquines. «Il y a tellement de préjugés qui circulent encore sur nous, note Catherine Anichinapeo, coordonnatrice des services auxiliaires de Kitcisakik. Mais j'ai de l'espoir qu'on va s'en sortir. On souhaite maintenant que les gouvernements ouvrent leur coeur et leurs oreilles. On veut être respectés, reconnus et compris.»