Présidente d'honneur de Cinémania, Emmanuelle Devos partage, avec Vincent Lindon, la vedette de Ceux qui restent d'Anne Le Ny. Rencontre avec une femme qui a appris à cohabiter avec les personnages qu'elle interprète.

«Il y a des personnages qui sont de bonne compagnie et d'autres, de mauvaise», assure l'actrice Emmanuelle Devos, de passage à Montréal à titre de présidente d'honneur de Cinémania et tête d'affiche de Ceux qui restent d'Anne Le Ny. Avec Lorraine, elle a été en bonne compagnie.

Lorraine, c'est cette «fille speed» qui se retrouve à arpenter les couloirs d'un hôpital pour cancéreux où son copain vient d'être admis. Dans ces couloirs, elle rencontre Bertrand (Vincent Lindon). Lui les sillonne, par intermittence, depuis cinq ans. Pour sa femme.

Ils sont, elle et lui, deux victimes collatérales de la maladie. Qui se rapprochent. Avec tout ce que cela comporte de culpabilité. Et d'impossible - puisque là est le thème que désirait explorer la comédienne Anne Le Ny qui, ici, s'est aussi faite scénariste et réalisatrice: «Je me demandais ce qui, en 2007, pouvait être un amour impossible», disait-elle à son arrivée à Montréal, où elle participe elle aussi à Cinémania.

Les deux femmes s'étaient croisées sur un plateau de tournage, il y a quelques années. Mais quand Anne Le Ny a tenté de trouver sa Lorraine, elle n'a pas pensé à Emmanuelle Devos. Elle n'a pas trouvé le personnage dans une autre actrice non plus. Jusqu'à ce que les producteurs du film lui demandent avec qui elle aimerait travailler. Le nom d'Emmanuelle Devos, là, a fusé.

«Anne avait, pour Lorraine, l'image de quelqu'un de rapide, de pressé, alors qu'elle avait de moi l'image de quelqu'un plus contemplatif. Elle m'a donc demandé de faire des essais... et j'ai réussi mes essais!» rigole la comédienne révélée dans Sur mes lèvres de Jacques Audiard. Parce que, oui, elle a accepté de passer une audition. Elle s'est même préparée à cela. Entre autres, en faisant «un truc tout bête»: «Je n'ai pas le même débit de parole que Lorraine. Je me suis donc entraînée à parler vite, à laisser derrière moi mon accent un peu traînant. Je me suis mise à la puissance 10 alors qu'en temps normal, je suis à puissance 4», s'amuse-t-elle.

Elle sentait qu'avec Lorraine, elle serait bien. Elle aimait le thème du film. Elle aimait cette femme qui dit ce qu'elle pense: «Quand elle apprend que Bertrand soutient sa femme depuis cinq ans, elle avoue candidement qu'elle, ne tiendrait pas cinq ans, ni cinq mois. Ni cinq heures. Je trouvais ça formidable. Une telle franchise est une grande force. D'ailleurs, ce rôle m'a appris à être un peu plus directe.»

Parce qu'elle est de ceux qui croient... non, qui savent ou reconnaissent, que chaque rôle apporte quelque chose - ou enlève quelque chose - à ceux qui les endossent. «Il y a des rôles qui sont de bonne compagnie et d'autres, de mauvaise compagnie.» Rien à voir avec la qualité de l'expérience de tournage mais avec ce que le personnage apporte avec lui: «Ça colore forcément ce que vous êtes et ça peut être difficile d'en sortir.»

Et ce qu'elle dit là n'est pas de nature psychologique mais, croit-elle, simplement physiologique. «Si vous jouez la frustration toute la journée pendant des semaines, le corps le ressent.» Le personnage de Lorraine, lui, a donc été «de bonne compagnie» pour Emmanuelle Devos. Parce qu'au-delà du drame, il y a la force d'une survivante. De ceux qui restent...