Même si Michou d'Auber joue sur un autre registre que celui des comédies à succès qui, de Black Mic Mac à La vérité si je mens, ont marqué sa carrière de cinéaste, Thomas Gilou reste fidèle à sa démarche. Il plonge ainsi de nouveau dans les spécificités culturelles de la société française.

Au cours des derniers mois, de nombreux films livrant un point de vue maghrébin sur l'histoire de la France ont pris l'affiche; le plus célèbre étant bien sûr Indigènes de Rachid Bouchareb. Le phénomène n'étonne en rien Thomas Gilou, un cinéaste qui, depuis maintenant 20 ans, s'efforce de donner une voix à ses compatriotes dont les ancêtres sont nés à l'extérieur des frontières de l'Hexagone.

« Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il y a un effet de mode, racontait le réalisateur au cours d'une entrevue accordée à La Presse plus tôt cette année au festival de Mont-Tremblant. Mais il est clair qu'à l'époque où j'ai commencé à faire des films de cette nature, personne n'abordait les choses sous cet angle. Puis, les banlieues ont explosé. La société française a ainsi été obligée de se confronter directement à son histoire. Nous n'avions pas parlé de la guerre d'Algérie depuis 40 ans! »

Le récit de Michou d'Auber, qui a obtenu deux récompenses à Tremblant (prix du meilleur scénario et prix du jury) est inspiré de l'enfance du comédien Messaoud Hattou (Bab El-Oued City, Chouchou), avec qui Gilou avait déjà coécrit Raï il y a plus de 10 ans.

Cette chronique a pour cadre la France profonde de 1960, alors que font rage les « événements » d'Algérie. Elle raconte les difficultés d'intégration du petit Messaoud, un enfant maghrébin qu'on place dans une famille d'accueil du Berry. Le garçon doit en effet tenter de faire son chemin entre deux cultures très différentes.

« Ce fut un long travail d'écriture, reconnaît l'auteur cinéaste. Il n'était d'ailleurs pas toujours facile pour Messaoud de replonger dans ce genre de souvenirs. De mon côté, je tenais à ce que le ton emprunte des accents tragi-comiques, de telle sorte que nous puissions passer du rire aux larmes avec aisance. J'ai été inspiré par plusieurs films français à cet égard - Le vieil homme et l'enfant notamment - mais aussi par de nombreux beaux films italiens. Je pense à Pain et chocolat de Franco Brusati par exemple. »

Très attiré par la forme documentaire (il a signé trois films documentaires au cours des six dernières années), Thomas Gilou traque aussi la vérité à travers ses fictions.

« Black Mic Mac, qui est une comédie, constitue probablement le seul film qui documente la vague d'immigration africaine des années 80, fait-il remarquer. Mon approche documentaire nourrit forcément mes fictions. Pour moi, la motivation est la même. »

Gérer Gérard

Quand l'idée de Michou d'Auber est née, il y a maintenant près de 10 ans, Gilou est allé rencontrer Gérard Depardieu avant même de plancher sur l'écriture, histoire de se nourrir justement de la vision de l'acteur. Dans l'esprit du cinéaste, Depardieu s'imposait d'emblée pour le rôle de Georges, cet ancien militaire un peu bourru qui tient lieu de chef de cette famille d'accueil.

« Dès que je lui ai soumis l'idée, il m'a encouragé à écrire ce scénario, raconte le réalisateur. Ayant lui-même grandi dans le Berry, il était déjà familier avec ce genre d'histoires, avec ce type de personnages. J'avais en outre besoin d'acteurs qui comprenaient le sujet de l'intérieur. Gérer Gérard sur le tournage n'est pas toujours qu'une mince affaire, cela dit. Mais je l'ai voulu, je l'ai eu! Et puis, il s'est mis au service de l'histoire d'une façon magnifique. »

Recréer le couple Gérard Depardieu - Nathalie Baye n'était pas non plus tout à fait innocent. Dans la mesure où l'actrice, qui avait déjà donné la réplique à Depardieu dans quelques films phares des années 80 (Le retour de Martin Guerre et Rive droite, rive gauche, notamment), pouvait se glisser dans la peau d'une femme assez forte pour tempérer les élans excessifs du mari.

« Je ne crois pas que le cinéma puisse changer le monde, reconnaît Thomas Gilou. Il peut toutefois contribuer à changer le regard qu'on porte sur le monde. C'est déjà pas mal. La situation que nous décrivons dans Michou d'Auber existe encore dans la France d'aujourd'hui. D'une autre manière bien sûr. Mais la bête est là. Il faut faire attention, ne pas trop la chatouiller. »