Ne parlez pas de Liberté 55 à Fernand Dansereau. De toute façon, il a passé ce cap depuis presque un quart de siècle. Et surtout, il a peine à imaginer sa vie loin d’une caméra. Le cinéma, c’est sa nourriture intellectuelle.

«Pour moi, c’est inconcevable de ne plus tourner, ce serait comme m’éteindre. Je suis heureux sur un plateau de tournage. Toute ma vie, à chaque film, j’ai appris par le cinéma», explique-t-il en entrevue au Soleil, d’une voix calme et posée.

«Je me risque dans un film comme si c’était une thèse de doctorat. Et vous, les critiques, vous complétez mon éducation...», ajoute-t-il, pince-sans-rire.

Fernand Dansereau est l’un des pionniers de la télé et du cinéma québécois. C’est à lui qu’on doit notamment l’écriture du Parc des Braves et l’adaptation des Filles de Caleb. Sa prolifique carrière lui a valu en 2005 le prestigieux prix Albert-Tessier, offert par le gouvernement du Québec.

Son retour au grand écran, à titre de scénariste et de réalisateur, ne s’est fait pas fait sans heurt. Malgré son expérience et ses distinctions, il lui a fallu se battre cinq ans pour vendre le scénario de La brunante. Aucun distributeur ne voulait se risquer avec un film parlant de suicide, de vieillesse et de maladie. À 2,4 millions $, le budget n’était pourtant pas prohibitif.

«Un distributeur m’a même dit : “Tes deux personnages principaux veulent se suicider et toi, t’es vieux. En partant, t’as trois strikes contre toi”.» Loin de se laisser décourager, Fernand Dansereau a travaillé encore plus fort à peaufiner son scénario. Dix-sept versions plus tard, un distributeur (dont le père souffrait de la ma-
ladie d’Alzheimer) a finalement donné le feu vert au tournage.

L’expérience aidant, c’est avec beaucoup de sagesse et de philosophie que le chevronné cinéaste parle du dernier droit de la vie, de la maladie, de la dégénérescence du corps et de l’esprit. Un ami lui confiait récemment que si la maladie d’Alzheimer venait qu’à l’affliger, il préférerait se suicider. «Tu ne saurais alors pas ce dont tu prives les autres», lui a-t-il alors répondu.

Le personnage de Madeleine (Monique Mercure) est atteinte d’Alzheimer, mais elle aurait pu être affligée d’une autre maladie dégénérative, l’important pour le réalisateur étant d’aborder la troublante question du «consentement au mystère de la vie et le courage de vivre dans l’épreuve».

«À mesure que les années passent, nous devons consentir à beaucoup de deuils. Où trouve-t-on le courage de passer à autre chose? C’est cela le vrai sujet du film.»

Malgré tout, le père de sept enfants croit que la vieillesse n’est pas faite que de dé-
savantages. «Tu perds du pouvoir sur ton corps, la solitude s’installe, mais en même temps, ta conscience s’élargit. Je suis capable de donner des dimensions aux choses que je ne voyais pas. J’acquiers des libertés dans ma tête, des petits bouts de sagesse que je n’avais pas. C’est un grand profit.»

Le laborieux travail abattu en amont de La brunante ne l’a pas découragé, loin de là. Il travaille à l’écriture d’un autre long métrage, intitulé La plus belle chose du monde. Un film sur l’amour, quoi d’autre.

«J’espère seulement ne pas prendre encore six ans pour le faire. Je vais alors être rendu à 85 ans...»

Fernand Dansereau, qui sait, deviendra peut-être le Manoel de Oliveira québécois, ce réalisateur espagnol qui tourne encore à 99 ans...

Quarante ans de différence

Monique Mercure remercie le ciel, elle n’a aucun signe avant-coureur du mal dont est affligé son personnage de Madeleine, dans La brunante. Et si elle devait un jour être atteinte de la maladie d’Alzheimer, elle croit qu’elle s’accrocherait à la vie.

«Je refuse de penser à ça, mais je crois que j’accepterais le mystère de la vie. Rien ne dit que les gens atteints de l’Alzheimer n’ont pas une forme de vie intérieure.»

L’une des premières vedettes de notre cinéma et lauréate d’un Prix d’interprétation au Festival de Cannes pour J.A. Martin photographe (1977) est dans une forme splendide, malgré ses 78 ans qu’elle fêtera la semaine prochaine. Toujours active sur les planches et au petit écran (Providence), elle accueille son rôle dans La brunante comme un beau cadeau.

«Ce fut tellement agréable de tourner ce road-movie, de remonter le fleuve jusqu’à Percé, où je n’étais jamais allée. Ç’a m’a emballée, j’aurais dû y aller bien avant. C’est ce qui est formidable dans le cinéma, les voyages.»

Monique Mercure donne la réplique à l’une des vedettes montantes de la scène artistique québécoise, Suzanne Clément, la Sophie Paquin de la télé, de 40 ans sa cadette. Le contraste est grand entre les deux femmes et pas seulement en âge, explique la comédienne. «Je suis tellement terre-à-terre, alors qu’elle a une telle réflexion sur la vie et les choses. C’est une belle personne et une très grande actrice.»

Suzanne Clément, vue l’an dernier dans L’audition, de Luc Picard, et qui sera du prochain Philippe Falardeau (C’est pas moi, je le jure), décrit son personnage de Zoé, dans La Brunante, comme une jeune femme remplie de contradictions.

«Elle peut paraître forte, mais elle a tellement été blessée qu’elle a peur de l’être à nouveau. Derrière son air presque sauvage, il y a un immense besoin d’être aimée et rassurée.»

À 38 ans, Suzanne Clément n’a évidemment pas le même regard que son aînée sur la décrépitude du corps et de l’esprit. N’empêche, il lui arrive de penser, à titre d’actrice, que le poids des ans finit par être lourd.

«Je vois davantage la vieillesse comme une perte, explique-t-elle. Comme actrice, il y a toujours ce rapport au corps et à la séduction. Il y a tellement d’actrices qui n’ont pas de rôles parce qu’elles sont moins jeunes.»