Plus de 1000 ans après avoir été écrit, le plus vieux poème de langue anglaise s'apprête à reprendre vie sous la forme d'une luxueuse superproduction hollywoodienne.

Dans le monde anglo-saxon, Beowulf fut longtemps mis à l'étude dans le programme scolaire. Comme le sont souvent les lectures obligatoires, ce livre fut aussi bien souvent synonyme d'ennui. Le fait que ce poème, issu de l'esprit d'un auteur inconnu, ait été rédigé en vieil anglais n'arrangeait en rien les choses.

«Il est bien évident que tout cela était horrible! lance Neil Gaiman, coscénariste (avec Roger Avary) d'un film que vient de réaliser Robert Zemeckis. Cette légende a survécu oralement pendant des siècles avant d'être manuscrite. Or, les seules personnes qui savaient écrire au VIIe siècle étaient des moines. On peut présumer que celui d'entre eux qui a couché l'histoire sur papier a dû l'adapter à sa façon!»

L'ouvrage fut réhabilité dans le monde moderne par nul autre que J.R.R. Tolkien, à travers un essai que ce dernier a publié en 1936. Depuis, l'influence de Beowulf dans le monde de la littérature et du cinéma ne s'est jamais démentie. Tolkien s'en est même directement inspiré pour Le seigneur des anneaux dans le chapitre intitulé «Les deux tours».

De leur côté, Gaiman et Avary planchent depuis 10 ans sur un projet d'adaptation cinématographique de Beowulf. Lequel, au départ, devait être réalisé par Roger Avary lui-même. Un producteur français s'était même montré intéressé, bien que le budget de 20 millions de dollars prévu à l'époque ne puisse être en rien comparable à celui des productions hollywoodiennes. Robert Zemeckis est ensuite arrivé dans le décor avec, à la clé, des moyens conséquents. Et, surtout, l'idée d'exploiter une technologie déjà utilisée dans Polar Express: la «motion capture animation».

Une image recomposée

Grâce à cette technique, l'image est entièrement générée par les mouvements que font les comédiens. Qui travaillent avec des dizaines de capteurs sur le corps au moment du tournage de leurs scènes. Il n'y a pas de décors. Plutôt des costumes; les acteurs enfilent un maillot sur lequel on branche des capteurs partout. «On se sent complètement idiot au début!» commente d'ailleurs Anthony Hopkins.

L'image est ensuite entièrement recomposée à partir du travail du comédien, donnant à cette forme d'animation un caractère résolument réaliste. Si l'aspect physique de certains acteurs a complètement été changé (Ray Winstone, qui incarne Beowulf, n'a strictement rien du guerrier scandinave sur le plan physique), plusieurs peuvent néanmoins être facilement identifiables, notamment Anthony Hopkins, John Malkovich, et Angelina Jolie. Cette dernière, qui incarne la mère de Grendel, une créature monstrueuse qui hante la quiétude d'un royaume du Danemark, fut d'ailleurs assez étonnée du résultat.

«Quand je me suis vue, je me suis sentie un peu gênée par l'aspect très sexy du personnage! a déclaré l'actrice au cours d'une conférence de presse tenue à Los Angeles samedi dernier. Je ne m'attendais pas à ce que cela soit aussi réaliste. Même si je me suis beaucoup amusée de la chose, j'ai quand même téléphoné à la maison ensuite pour leur expliquer. Le "petit film" d'animation que j'avais tourné pendant deux jours et demi, il y a longtemps, était en effet un petit peu différent que ce que je leur en avais raconté. Même si ce n'est pas vraiment moi à l'écran, je me suis curieusement sentie très exposée!»

Le personnage qu'incarne Angelina Jolie prend en effet tous les moyens pour venger son monstrueux de fils, y compris celui de la séduction. Pour ce faire, elle se glisse en outre dans la peau d'une sirène sublime.

«Quand Robert Zemeckis m'a proposé le rôle, explique l'actrice, il a dit que j'incarnerais une créature dont l'apparence ressemblerait à celle d'un lézard. Quand je regarde les affiches du film, je m'aperçois que je ne suis pas un lézard du tout!»

«Robert Zemeckis, poursuit-elle, est un être très créatif et cela m'enthousiasmait de travailler avec lui. Peu importe le rôle qu'il m'aurait offert, je crois que j'aurais accepté de toute façon. On parle souvent de l'aspect business dans ce milieu mais il est clair que Robert est d'abord motivé par le défi artistique d'un projet. En tant qu'actrice, j'avais justement besoin de rencontrer quelqu'un comme lui. Et je lui suis très reconnaissante.»

Une expérience libératrice

Même si la technique s'est avérée exigeante, les acteurs disent avoir trouvé l'expérience très libératrice. Dans la mesure où ils pouvaient se concentrer uniquement sur leur jeu.

«Personnellement, je n'ai pas l'impression d'avoir fait un film d'animation, explique Angelina Jolie. Avec cette technique, il faut vraiment faire tous les gestes, y compris dans les scènes très physiques. Et puis, on a aussi le plaisir de tourner nos scènes avec nos partenaires, ce qui n'est pas toujours le cas dans les films d'animation.»

John Malkovich y voit même une dynamique semblable à celle du théâtre. «Pour les acteurs, cette technique ne présente aucun désavantage car elle permet de jouer dans une forme très pure, très dépouillée. Sur le plan de la production, c'est autre chose car cette technologie est extrêmement coûteuse. Tout reste encore à faire une fois que les comédiens ont accompli leur boulot. Nous avons tourné nos scènes il y a plus de deux ans et le film ne sort que maintenant!»

Le budget de production de Beowulf oscille officiellement autour de 150 millions de dollars. Mais des rumeurs le fixent plutôt à 200 millions. Le producteur Steve Starkey refuse d'avancer des chiffres.

Aussi pressé de questions à propos de l'absence remarquée du cinéaste à une rencontre de presse au cours de laquelle ont participé pas moins de neuf des artisans du film, Starkey a expliqué que Robert Zemeckis s'était retiré de la campagne de promotion afin de «laisser parler le film par lui-même». «Il s'agit d'une décision qu'a prise Robert et je me dois de la respecter. Il est plus facile pour lui de faire les films que d'en parler.»