Yves Pelletier me donne rendez-vous Café Lézard, rue Masson. En pleine préparation du Bye Bye de RBO (31 décembre, 23 h, à Radio-Canada), le réalisateur des Aimants planche depuis quelque temps sur le scénario d'une série pour la télévision et espère recevoir le financement nécessaire à la réalisation de son deuxième long métrage de fiction, Le baiser du barbu. Thème: le financement du cinéma québécois.

Marc Cassivi: Sans refaire le débat suscité par la sortie de Patrick Huard (NDLR: le réalisateur des 3 p'tits cochons a dénoncé les inégalités dans la distribution de la richesse au cinéma), quel regard poses-tu sur le système de financement de notre cinéma?

Yves Pelletier: Il y a des avantages à ce système-là. Il y a bien des pays qui nous envient d'avoir un cinéma national, même si on s'entredéchire là-dessus. On est quand même privilégiés de pouvoir bénéficier de sommes d'argent provenant des gouvernements. Par contre, les organismes subventionnaires sont obligés de se fixer des critères. Et tu dois, comme cinéaste, rentrer dans telle ou telle boîte. Quand tu as un projet hybride, c'est plus difficile. Mon prochain film n'est pas une comédie romantique ni un film d'auteur; il se situe entre les deux. Il ne rentre pas dans une boîte. Ce n'est pas simple. Mais il faut persévérer.

M.C.: Tu as attendu combien de temps pour obtenir le financement des Aimants?

Y.P.: Trois ans. Ç'a été ma plus grande satisfaction. À partir du moment où j'ai su que j'allais le faire, je me suis dit: «O.K., Yves: fais ton premier et ton dernier film!». Ce tournage-là a été la plus belle période de ma vie professionnelle. Et par la suite, la réaction du public et des critiques m'a vraiment surpris...

M.C.: Tu ne t'y attendais pas du tout?

Y.P.: J'étais tellement dans ma bulle que je n'ai pas eu le temps d'avoir du recul. Ça été le fun de voir des gens accrocher à cet univers-là alors que j'avais eu tellement de difficulté à l'expliquer. Je me faisais constamment dire par les décideurs de Téléfilm: «Mais cette scène-là ne sera pas drôle?». On ne comprenait pas le ton que je voulais donner au film.

M.C.: Tu as eu de la difficulté à faire financer ton deuxième film, même après le succès des Aimants. Trouves-tu, comme Patrick Huard, que le système doit être revu?

Y.P.: Je trouve qu'on est privilégiés. C'est sûr que des gens, par leur position, obtiennent des avantages. Il y en a qui partent avec trois longueurs d'avance, pour toutes sortes de raison. Mais à la base, il y a quand même un système établi qui permet que l'on propose nos projets. Le système pourra toujours être amélioré. Mais je trouve qu'on n'a aucun intérêt à se déchirer sur la place publique alors que les gouvernements coupent dans les budgets. Si le gouvernement conservateur avait fait le même geste que le gouvernement du Québec l'an dernier, en injectant 10 millions de plus dans le cinéma, on aurait eu une vision plus équilibrée de ce qui se crée au cinéma québécois. Les scénarios sont meilleurs, il y a toute une génération de cinéastes qui sont prêts à faire un premier ou un deuxième long métrage. Pourquoi on ne les encouragerait pas? Combien ç'a coûté, en Afghanistan, de faire passer la mission canadienne du stade de gardien de la paix à celui de belligérant? Ça coûte combien un missile? Les gens ne s'indignent pas de ça.

M.C.: Ce qui est encourageant, c'est qu'il y a des oeuvres plus difficiles qui continuent d'exister. La preuve que le système fonctionne, sans être parfait, c'est qu'il y a des films de débutants, assez pointus, sans grands moyens, qui se font

Y.P.: Je suis allé voir Continental, un film sans fusil. Je ne sais pas combien (Stéphane Lafleur) a eu de budget pour faire son film, mais c'est réussi. Je suis sûr qu'il a dû se battre lui aussi. Le système pourrait être amélioré si on laissait certaines initiatives aux décideurs, des sortes de «wildcards» pour chacun d'entre eux. On sortirait davantage du moule, des critères préétablis. Il y a des films commerciaux qui fonctionnent au box-office. C'est parfait. Mais il y en a d'autres qui appliquent la même recette et qui ne fonctionnent pas, à répétition. Ces films-là ne sont jamais remis en question. J'ai fait Les aimants grâce aux enveloppes à la performance. Je suis pour ces enveloppes, parce que ma productrice a eu l'initiative d'encourager mon projet.

M.C.: Le problème des enveloppes à la performance, c'est qu'elles sont souvent utilisées pour faire d'autres films performants. Ça crée une industrie de la performance, qui ne performe pas toujours...

Y.P.: Oui, mais c'est quand même stimulant. Il y a 10 ans, personne ne s'intéressait au cinéma québécois.

M.C.: Patrick Huard, même si je ne suis pas d'accord avec la manière dont il s'en est plaint, a touché à une réalité: dans notre système subventionné, il y a des gens qui font de l'argent et c'est plus souvent des distributeurs et des producteurs que des artistes. Que penses-tu de cette iniquité?

Y.P.: Là encore, je dis: «Fais-la, la business!». Ce sont des businessmen, qui doivent suivre certaines règles. S'ils appliquaient froidement le système nord-américain, ils n'encourageraient pas le cinéma d'auteur. Or, ils sont obligés par la SODEC et Téléfilm Canada de mettre à l'écran un certain nombre de films québécois qui ont moins de potentiel commercial. C'est évident qu'on pourrait toujours mieux partager les richesses.

M.C.: Mais ça ne te semble pas flagrant que les artistes se font avoir...

Y.P.: Pas Patrick Huard en tous cas! (rires) Là où il a raison, c'est que ça fait deux ans qu'il fait fonctionner le cinéma québécois. Pour un distributeur, c'est un intervenant particulier. C'est sûr que ç'aurait peut-être été le fun qu'il n'ait pas à demander pour ses billets d'avion (NDLR: Huard a refusé une invitation de la SODEC pour se rendre dans un festival à Paris parce qu'il voulait deux billets en classe affaires). C'est juste que dans la manière À sa place, au lieu d'en parler dans les médias, j'y serais allé en classe économique. En conférence de presse sur place, j'aurais profité du fait que Les 3 p'tits cochons cartonne pour dire: «Ça marche, mais je ne suis pas traité de façon équitable». Il aurait peut-être eu l'air plus sympathique. Et il aurait été mieux compris.

M.C.: Je l'ai trouvé très maladroit. Il ne faut pas oublier qu'on est dans un système subventionné, très différent de la libre entreprise nord-américaine, comme tu le disais tout à l'heure. Quand tu fais un show d'humour, les profits que tu engranges te reviennent de plein droit. On peut difficilement comparer le cinéma québécois au cinéma hollywoodien. Nicole Kidman peut réclamer 20 millions par film. Parce qu'aux États-Unis, les studios font souvent 100 millions de profits véritables. Au Québec, la grande majorité des films ne font pas leur frais et sont en réalité déficitaires. On parle quand même d'argent public

Y.P.: Mais il y a des gens dans ce système-là qui font des profits. Si tu veux encourager ta culture, il faut que tu y mettes de l'argent. Je ne me sens pas coupable deux secondes de réclamer une juste rémunération quand je vois le budget global des gouvernements et des différents ministères. Une culture forte crée de l'emploi, encourage le tourisme, etc. C'est un choix politique. Il faut résister à notre voisin, qui est un géant de l'entertainment. Si on n'encourage pas notre culture, on va être assimilés. On est privilégiés de bénéficier de cet argent public, mais en même temps, il ne faut pas s'autoflageller parce qu'on le reçoit.