La rumeur courait dans les couloirs du Claridge's, chic hôtel londonien où l'on s'étonne à peine de croiser Nicole Kidman dans l'ascenseur; Katie Holmes dans le hall; et, sur le trottoir, une poignée de paparazzis : Johnny Depp s'adresserait-il aux journalistes venus l'entendre parler de Sweeney Todd - The Demon Barber of Fleet Street, sa sixième collaboration avec Tim Burton? «Johnny a le rhume», ont fait savoir ses porte-parole. «En réalité, ils ne savent pas où il est.» Ça, c'était la rumeur. Propagée par quelques habitués aux sources bien informées.

En fin de compte, l'acteur caméléon s'est trouvé à l'endroit prévu, à l'heure dite. Affable, mais réservé. Ne jouant pas la carte complaisante ni le (faussement) friendly avec la faune invitée. Vêtu de jean. Portant chapeau, lunettes et barbichette. Bijoux en abondance. Johnny Depp en tant que lui. Jamais banal, donc. Professionnel. Et jamais personnel. Pour ce film plus que pour tout autre.

Il faut dire que le tournage de ce drame d'horreur musical a failli tourner à l'horreur pure et simple pour Johnny Depp et sa conjointe, Vanessa Paradis : en mars, leur fille de sept ans, Lily-Rose, a été hospitalisée d'urgence en Angleterre. Les deux parents sont restés nuit et jour au chevet de l'enfant, jusqu'à ce qu'elle soit hors de danger.

Sujet délicat

Au journaliste qui, ce jour-là, tente de le faire parler de ce sujet délicat, le comédien répond placidement : «Je ne savais pas si je pourrais revenir sur le plateau.» À sa droite, Tim Burton, en noir de pied en cap - ne manquait qu'un foulard rouge pour qu'il affiche les couleurs de son nouveau film - sourcille avant d'ajouter : «C'est très privé, ça. Mais, bon... nous avions une impression positive. Nous nous disions que tout irait bien.»

«On passe à une autre question.» Ça, c'était le claquant modérateur (!). On passe, en effet. De toutes manières, l'histoire derrière Sweeney Todd vaut le détour.

À l'origine, un fait divers qui est peut-être une légende urbaine. Au 19e siècle, un barbier londonien se serait amusé à trancher la gorge de ses clients. Sa maîtresse aurait utilisé le corps des victimes pour farcir les chaussons à la viande vendus dans sa boutique. Inspiré par l'histoire, Stephen Sondheim a écrit, en 1979, ce qui allait devenir le spectacle musical Sweeney Todd.

Le barbier maléfique est devenu une victime : exilé dans un bagne à cause des fausses accusations portées par un juge qui convoite sa femme, il s'évade au bout de 15 ans, revient à Londres pour découvrir que sa bien-aimée s'est suicidée et que sa fille a été adoptée par le vil magistrat. Il sombre alors dans une folie meurtrière, porteuse de sa soif de vengeance. Dans les rôles principaux, Len Cariou et Angela Lansbury.

Depp chanteur?

Un disque a été enregistré. Helena Bonham Carter l'a écouté jusqu'à en user les sillons. «J'aime passionnément Sweeney Todd depuis l'âge de 13 ans. Je ne pouvais pas ne pas essayer d'avoir le rôle... mais je ne savais pas si je pouvais chanter, surtout devant Tim», raconte la conjointe du réalisateur - qui incarne finalement Mrs. Lovett, la complice du barbier fou.

Chanter qui est loin, ici, d'être un détail. Ce film atypique repose sur des chansons. Johnny Depp a d'ailleurs eu les mêmes interrogations que sa covedette. Tim Burton l'a approché en 2001. Lui a apporté le disque. Il a écouté, trouvé ça intéressant. Ensuite, silence. Cinq ans plus tard : «Puis, es-tu capable de chanter?» «Je l'ignorais, admet Johnny Depp, mais j'avais l'intuition que je pouvais puisque j'ai déjà fait partie d'un groupe.» Où il jouait de la guitare, en retrait. Mais le sens musical était là.

Il a donc tenté l'expérience. Est allé en studio pour enregistrer sa «pièce signature» de Sweeney Todd. «Quand vous n'êtes pas chanteur, c'est très épeurant de chanter devant des gens. À moins d'être saoul.» «Et moi, je n'ai jamais été assez saoul pour ça!», pouffe Tim Burton. Qui, lui, avait d'autres défis à relever - puisque, comme on s'en doute, Johnny pouvait chanter et a accepté le rôle.

Entre autres défis du réalisateur, l'émotion. Qu'elle traverse l'écran, malgré la manière somme toute artificielle qu'amène la chanson. «Par exemple, je voulais voir les choses traverser la tête de Johnny et tomber dans son regard», évoque le réalisateur en parlant de la folie grandissante de Sweeney Todd.

Lequel a une relation... disons trouble avec ses rasoirs. «Mais ça, ça allait. J'ai déjà travaillé avec des trucs coupants», lance Johnny Depp. «C'est la crème à raser qui le faisait déjanter», rigole Tim Burton. «C'est vrai que tout allait bien jusqu'à ce que je doive raser quelqu'un!» Et parmi ces «quelqu'un», Alan Rickman qui incarne le méchant juge et a appris deux choses (essentielles) dans ce tournage : «Il faut respirer quand on chante. Et il ne faut surtout pas appliquer la crème près des lèvres si on doit chanter en se faisant raser. À moins qu'on tienne à postillonner partout...»

Ce qui couperait (!) l'effet dramatique.