À l'aube de la nouvelle année, La Presse a demandé à trois intervenants majeurs de l'industrie cinématographique québécoise de revenir sur leur année 2007 et de nous faire part de ce qui attend le milieu en 2008.

>ROGER FRAPPIER, PRÉSIDENT PRODUCTEUR DE MAX FILMS

Q: Votre bilan cinématographique personnel?

R: 2007 fut l'année du plafond corporatif imposé par Téléfilm et l'APFTQ (NDLR: un maximum de 3,5 millions$ pour les enveloppes sélectives et à la performance par entreprise). On a ainsi freiné le développement cinématographique de ma société. C'est un traitement discriminatoire qui n'existe que pour les producteurs francophones. Je trouve que c'est très québécois comme mentalité de tirer vers le bas au lieu de vers le haut. Je crois beaucoup à la continuité avec les réalisateurs. Le problème avec un plafond, c'est qu'on arrive rapidement dans un cul-de-sac. Pour la première fois, Max Films a donc poussé vers la production anglophone.

Q: Votre bilan du cinéma québécois?

R: Je suis content des fruits récoltés lors de la Semaine du cinéma du Québec à Paris, en novembre. Il y a une réelle ouverture, un véritable engouement pour Les 3 p'tits cochons de Patrick Huard. On sent qu'il y a une continuité après Les invasions barbares, La grande séduction et C.R.A.Z.Y. Ça montre l'importance d'investir dans la mise en marché étrangère.

C'était, par ailleurs, la première fois que je voyais un premier ministre prendre personnellement en charge le dossier du cinéma québécois. Jean Charest a été sensible à nos revendications, en assurant un fonds permanent de 10 millions à la SODEC. Malheureusement, il n'y a aucun intérêt en ce sens du côté du gouvernement fédéral. Comme la nouvelle ministre du Patrimoine (Josée Verner) vient du Québec, peut-être qu'elle va être plus sensible à nos revendications.

Q: À quoi s'attendre pour Max Films en 2008?

R: Nous sortons Borderline en février, le premier film de Line Charlebois. Il met en scène un trio d'actrices exceptionnelles (Isabelle Blais, Sylvie Drapeau et Angèle Coutu). Nous débutons sous peu la production de Dédé, à travers les brumes sur Dédé Fortin de Jean-Philippe Duval. On a commencé le casting à Toronto du film Shameless d'Arto Paragamian. On veut aussi tourner Out of Z de Manon Briand et À l'origine d'un cri de Robin Aubert.

Q: À quoi s'attendre pour le cinéma au Québec en 2008?

R: On va célébrer le dixième anniversaire des Jutra. C'est devenu une marque importante. Au début, il y avait eu tant de critiques. On disait qu'il n'y aurait pas assez de films pour faire un gala de remise de prix. Une décennie plus tard, les Jutra ont permis au cinéma québécois d'atteindre un auditoire plus large. Un tel gala a aussi permis aux différents intervenants de l'industrie de se parler.

>PATRICK ROY, PRÉSIDENT D'ALLIANCE VIVAFILM

Q: Votre bilan cinématographique personnel?

R: On termine l'année encore une fois en première place chez les distributeurs de films. Il y a eu la saga entourant l'arrivée en salle de L'âge des ténèbres. Je n'ai pas de regrets en ce qui a trait à la décision de sortir le film en décembre. Avec les informations qu'on avait à l'époque (en mai), on a pris la meilleure décision. Il y a eu un dérapage médiatique comme rarement vu. Toute cette histoire ne fut pas une expérience agréable. Cela dit, ce fut très intéressant de travailler avec Denys Arcand et je suis fier de son film.

Ce fut, par ailleurs, une année mouvementée avec la vente d'Alliance (à CanWest Global). Reste que c'est positif pour nous, car ça a signifié le retour de Victor Loewy (président exécutif du conseil) dans l'entreprise, qui est redevenue privée. Victor a instauré un modèle de latitude complète au Québec. On sent une volonté du côté de Toronto que le bureau de Québec s'implique davantage dans le reste du Canada.

Q: Votre bilan du cinéma québécois?

R: 2007 ne fut pas une excellente, mais une bonne année. Une année de transition. Beaucoup de nouveaux réalisateurs sont apparus: Simon-Olivier Fecteau et Marc-André Lavoie (Bluff), Stéphane LaFleur (Continental, un film sans fusil) et Anaïs Barbeau-Lavalette (Le ring), notamment. Mais il nous a manqué de films porteurs pour susciter un effet d'entraînement sur la cinématographie complète. Certains films auraient dû fonctionner davantage.

Q: À quoi s'attendre pour Alliance Vivafilm en 2008?

R: On va distribuer 10 films québécois (Cruising Bar, Le piège américain, Le cas Roberge), soit trois de plus qu'en 2007. C'est donc une grosse année. Des films québécois ont notamment pu voir le jour grâce au fonds spécial de 10 millions du gouvernement Charest.

Pour Alliance, mon voeu, c'est la stabilité. On développe en Europe. On a déjà des bureaux en Angleterre et en Espagne. On devrait annoncer une acquisition en Scandinavie, sous peu.

Q: À quoi s'attendre pour le cinéma au Québec en 2008?

R: Je nous souhaite une année plus équilibrée. J'espère qu'il n'y aura pas qu'un seul bon film couru.

>PIERRE EVEN, PRODUCTEUR DE CIRRUS

Q: Votre bilan cinématographique personnel?

R: Nous avons vécu une année assez positive. Nitro a bien marché. Plus de 3,5 millions au box-office, c'est énorme. Surtout que le film est sorti dans la période la plus achalandée de l'année.

On a réussi à faire financer le film de Sébastien Rose (Comme une flamme). La SODEC nous a soutenus et avec notre enveloppe à la performance, on a complété le financement.

Q: Votre bilan du cinéma québécois?

R: Ce fut une année de surprises. Des films ont fait l'événement, contre toute attente: Continental, un film sans fusil, À vos marques... Party! et Les 3 p'tits cochons.

J'ai l'impression, par ailleurs, qu'on se rend compte de nos limites. On ne peut pas faire systématiquement des recettes six ou sept millions au box-office par film. Les Américains ont connu une année fantastique. Le cinéma québécois a donc eu plus de difficultés à se faire valoir. Nitro est, par exemple, sorti sur les écrans en même temps que Live Free or Die Hard et Ratatouille.

Je me suis rendu compte que même les exploitants de salles surestiment nos films. Ce qui est positif en quelque sorte et montre qu'on est extrêmement appuyés. Tout le monde m'a assuré que Nitro allait battre Transformers!

Q: À quoi s'attendre pour Cirrus en 2008?

R: On a une très grosse année devant nous. Deux coproductions vont sortir ce printemps. Il y a Modern Love avec Stéphane Rousseau (avec la France) et Hank and Mike (avec l'Ontario), en avril.

Q: À quoi s'attendre pour le cinéma au Québec en 2008?

R: Il y a une abondance de productions. Il va falloir faire de la place pour nos films. Le défi sera de ne pas faire des sorties simultanées. Cela dit, il va y avoir une belle variété de longs métrages.

Encore cette année, il va falloir convaincre le gouvernement fédéral d'appuyer le cinéma québécois. Le provincial a investi 10 millions supplémentaires. Cela dit, Josée Verner (nouvelle ministre du Patrimoine) a amené un changement de ton. Il y a, semble-t-il, un désir de faire des choses avec nous.