Bernard Émond s'oppose au cinéma de divertissement dans lequel baignent nos salles obscures en utilisant sa caméra pour faire de l'art. Son cinéma rappelle une époque que l'on croyait presque révolue alors qu'on privilégiait les plans fixes, les silences éloquents et les personnages consistants.

C'est encore ainsi qu'il fait des films, même s'il est à contre-courant. Les deux premiers volets de sa trilogie sur les vertus théologales témoignent de cette caractéristique de son art. La Neuvaine représentait la foi, Contre toute espérance, l'espérance, alors que son prochain film s'intitulera Les fins dernières et portera sur la charité. Ce scénario est déjà écrit et Émond souhaite être en mesure de tourner à l'automne 2008 pour une sortie sur les écrans un an plus tard.

Il parle déjà d'un film plus lumineux que les deux premiers. Contre toute espérance, étant, à ses yeux, le plus sombre, ce qu'il assume pleinement.

«Il ne faut pas avoir peur de regarder le malheur en face. Moi, je veux pratiquer un cinéma avec lequel on affronte la souffrance plutôt que de l'éviter comme on le fait dans le cinéma de divertissement. Pour moi, l'art se doit d'être avant tout une rupture et une rencontre. Il faut provoquer chez le public une rupture d'avec ses habitudes et la facilité, de façon à ce qu'il y ait une véritable rencontre entre lui et l'artiste. C'est pourquoi je trouve important de présenter au public des oeuvres difficiles et pas seulement du divertissement, qui n'a d'autre but que de faire de l'argent.»

Son regard semble résolument double: il est manifestement fasciné par l'individu jusque dans les couches les plus intimes de sa personnalité. Il explore les émotions profondes de ses personnages avec autant de pudeur que de justesse. D'un autre côté, il semble tout aussi fasciné par le contexte social et historique dans lequel évoluent ses personnages. «Nous sommes constamment pris dans une dualité. D'une part, notre vie est prédéterminée par le contexte politique, historique et social dans lequel nous évoluons mais malgré tout, ultimement, nous sommes libres. C'est cet espace de rencontre entre les vies privées et l'histoire qui me fascine constamment. Je trouve qu'il ne faut surtout pas gommer cette complexité de l'être humain.

«Moi, je suis né à Outremont mais ma mère travaillait en usine. Très tôt, j'ai pris conscience des notions de différences sociales. Aujourd'hui, c'est plus fort que moi, je ne peux faire autrement que de m'y intéresser comme en témoigne bien Contre toute espérance.»

S'il jette un regard rétrospectif sur l'ensemble de son oeuvre, il croit déceler une ligne directrice commune à tous les films qu'il a réalisés: «Je parle de la perte, de la disparition d'une époque. Le rapport à notre culture traditionnelle, par exemple. Il y a un côté sombre dans toute mon oeuvre mais je crois qu'elle est aussi marquée par une certaine beauté. Mon cinéma se rapproche de celui de Denys Arcand, à ce titre, mais je suis déçu par sa production récente: je ne partage pas son cynisme sur l'état de notre société.»

«Personnellement, je ne suis pas optimiste mais pas pessimiste non plus. C'est Rossellini qui disait que le pessimiste n'est pas un désespéré: il croit simplement qu'en regardant les choses telles qu'elles sont, il estime pouvoir arriver à les changer. J'aurais tendance à partager ce point de vue.»