Richard Jutras n'a jamais su comment mentir. Mais le scénariste et réalisateur aime bien créer des personnages passés maîtres dans l'art de la fabulation. Pour les voir s'embourber, se faire pincer et affronter, à terme, l'inévitable.

Après avoir bûché pendant trois ans sur un scénario qui n'a pas plu assez rapidement à son goût aux institutions financières, Richard Jutras a imaginé des personnages qui mentent autant à leur prochain qu'à eux-mêmes. Par romantisme et par survie. «Un matin, je me suis assis devant mon ordinateur et je me suis défoulé, raconte-t-il. Je ne me suis mis aucune barrière pour ce nouveau scénario.»

Avec peu de moyens (moins de 2 millions de dollars), il a ensuite mis en images La belle empoisonneuse (en salle vendredi), un drame romantique et fantaisiste sur le quotidien d'un homme et d'une femme de 25 ans. Lui s'appelle Homère (Maxime Denommée), travaille dans une librairie, se nourrit depuis son enfance de tragédies grecques et est follement amoureux de Roxane (Isabelle Blais). Cette dernière travaille pour un organisme de charité, vient d'une famille fortunée et commet des larcins. Tous les deux tentent de donner un sens à leur vie.»C'est intéressant le mensonge au cinéma, note le réalisateur. Ça fait travailler le spectateur.»

C'est à Québec que Richard Jutras, 48 ans, a réalisé ce premier long métrage. «D'abord, parce que le producteur est de Québec, dit-il. Et comme mon film est une sorte de fable - la belle empoisonneuse du titre est un champignon vénéneux - je n'avais pas en tête d'explorer Montréal. Ce n'est pas un film carte postale. On a créé une ville méconnaissable.»

La belle empoisonneuse ressemble d'ailleurs à peu de longs métrages tournés ici. D'abord parce que ses protagonistes n'ont pas les deux pieds sur terre. «C'est important de proposer des films aux univers différents, estime Benoît Gouin, qui incarne le beau-père de Roxane. Parce que ce film a été tourné à Québec, il offre une architecture différente, des décors moins anguleux, moins urbains.»

Malgré les contraintes de temps et d'argent, acteurs et techniciens se sont lancés à fond dans l'aventure québécoise (en acceptant pour la plupart des cachets différés), à l'été 2006. Entre autres, parce qu'ils avaient l'impression d'accomplir quelque chose de différent. «Pourquoi les films devraient toujours n'avoir qu'un seul genre? demande Isabelle Miquelon, qui incarne la mère de Roxane. Ce n'est pas ça la vie.» Aussi à cause de Québec. «Une ville belle et charmante, dit Isabelle Blais. C'est cool d'y travailler, car je m'y sens en voyage. Après chaque journée de tournage, je ne retournais pas dans mon quotidien. C'était magnifique de loger dans un appartement avec vue sur le port. J'aimais beaucoup l'atmosphère et l'esprit sur le plateau. Maxime et moi sentions qu'on faisait partie de l'équipe et non que nous étions des acteurs intouchables.»

Et ça, ce n'est pas de la frime!