La Régie du cinéma du Québec (RCQ) interdit la vente aux mineurs âgés de moins de 16 ans de certains films violents, d’horreur ou dotés d’un langage vulgaire. Ce qui n’a pas empêché un adolescent âgé de 12 ans de s’en procurer dans trois magasins de vente au détail, soit HMV, Future Shop et Archambault.

Selon le site Internet de la Régie, un film contenu dans cette classe ne peut être «vu, acheté ou loué» que par des personnes de 16 ans et plus, car ces oeuvres «exposent des thématiques, des situations ou des comportements troublants et adoptent un point de vue plus direct sur les choses. Ils peuvent donc contenir des scènes où la violence, l’horreur et la sexualité sont plus détaillées».

Pour les fins de notre enquête, notre mineur de 12 ans a été en mesure de se procurer, samedi dernier, le film d’horreur Décadence IV et la comédie au langage vulgaire et aux images crues Le Brise-Cœur chez Archambault et chez HMV.

Chez Future Shop, notre jeune homme a dû choisir L’autostoppeur, à la place de Décadence IV, car le magasin ne l’avait plus en stock.

Tous ces films étaient ornés du logo de la RCQ qui interdisait la vente aux moins de 16 ans.

Sur chacun de ces logos on pouvait y lire «langage vulgaire», «horreur» ou «violence», ce qui justifiait la raison pour laquelle l’œuvre était marquée de cette interdiction. «Au HMV (à Laurier), j’ai demandé de l’aide afin de trouver les deux films», explique notre adolescent qui a soufflé ses 12 chandelles la semaine dernière.

«Un homme âgé dans la cinquantaine et une jeune femme dans la vingtaine m’ont aidé à les trouver. Ensuite, je me suis dirigé vers la caisse, j’ai payé et je suis parti.» Par la suite, le jeune homme a pris la direction du Future Shop, toujours au centre commercial Laurier, où il n’a encore une fois éprouvé aucune difficulté pour s’acheter ces deux productions américaines.

«Cette fois, c’était plus drôle. L’employée qui a mis la main sur le film L’autostoppeur pour moi m’a dit : «Ah, c’est un film 16 ans», avant de me le donner pour que j’aille le payer.»

Pas de questions

L’enquête a été complétée au Archambault de Place Sainte-Foy. «Je me suis procuré les deux films avec l’aide d’un employé qui ne m’a posé aucune question sur mon âge. En arrivant pour payer, le caissier m’a dit : «Garde le logo bleu (de la RCQ) si tu souhaites te faire rembourser.» Sur le logo, c’est éclairement écrit 16 ans et plus. Il m’a quand même vendu le film.»

Les caissiers encaissent!

Les caissiers avaient le dos large, samedi dernier dans le cadre de notre enquête, quand les gérants des magasins visités tentaient d’expliquer comment un adolescent de 12 ans avait été en mesure d’acheter des films cotés 16 ans et plus. Chez HMV et Archambault, les responsables qui ont répondu aux questions du journaliste ont renvoyé la faute sur la ou le commis qui a fait payer les films à notre ado.

«Mon caissier n’a pas vérifié son âge, a avoué candidement Evelyne Bergeron, gérante chez Archambault. Ça ne fait pas longtemps qu’il travaille avec nous, mais ce n’est pas excusable. Nous avons une politique en ce sens et les caissiers doivent être attentifs à l’âge des jeunes à qui ils vendent des films qui sont cotés 16 ans et plus.»

«Nous allons laisser un jeune ado acheter un tel film s’il est accompagné d’un adulte», ajoute-t-elle. «Je vais avertir mon employé pour ne pas que ça se reproduise. Je suis contente qu’on ait été la cible de cette enquête, ça démontre qu’il y a encore des lacunes dans notre système et qu’il y a encore des choses à améliorer.»

Même son de cloche du côté de chez HMV. «Ma caissière n’a pas fait sa job, indique Denis-Steve Giguère, assistant-gérant. Ce n’est pas normal que le jeune ait pu se faufiler avec un film violent comme Décadence IV. Par contre, je ne comprends pas pourquoi Le Brise-Cœur de Ben Stiller se retrouve dans les 16 ans et plus. C’est une petite comédie.»

M. Giguère ne comprenait pas que sa caissière ait été négligente dans cette histoire. Toutes les caisses du magasin sont dotées d’un système qui montre à l’employé, sur un petit écran, dans quelle catégorie se trouve le film qu’il s’apprête à vendre quand il le scanne.

M. Giguère a d’ailleurs montré le fonctionnement de ce système de surveillance au journaliste.

La Régie s’en remet aux commerçants

La Régie du cinéma du Québec (RCQ) a beau interdire la vente de certains films aux moins de 13, 16 et 18 ans, elle ne prend aucun moyen proactif afin de s’assurer que les magasins de vente au détail de la province respectent ses lois et règlements.

Le conseillère en communication de la RCQ, Jacinthe Boisvert, a avoué qu’aucune enquête n’est menée auprès de ces commerces afin de voir si des jeunes sont en mesure de se procurer des films auxquels ils n’auraient normalement pas le droit d’acheter en raison du classement des films de la Régie.

«La direction des magasins doit former son personnel sur les cotes des films et nous nous fions sur ces compagnies pour que les caissiers et caissières «cartent» les acheteurs qui semblent trop jeunes pour le film qu’ils souhaitent se procurer, affirme-t-elle. Nous nous fions beaucoup sur la bonne foi des commerçants dans ce dossier.»

Mme Boisvert avance que les six enquêteurs de la RCQ qui patrouillent toute la province visiteront un magasin de vente au détail pour une question semblable uniquement s’ils reçoivent une plainte du public sur le comportement de vente d’un commerce.

«Nous allons donner un avertissement au magasin et leur envoyer de la documentation pour leur rappeler l’importance de suivre la loi, souligne-t-elle. Nous leur enverrons quelques avertissements avant que des pénalités financières soient envisageables.» Si la RCQ décidait de traîner un commerce devant le tribunal pour non-respect des cotes d’âge, il s’exposerait à une amende de 700 $ à 2800 $ pour une première offense, et de près de 14 000 $ pour une deuxième. Les individus visés par une telle poursuite seraient passibles d’une amende variant de 175 $ à 1400 $ pour une première infraction, et pouvant atteindre 7000 $ pour une deuxième.

L’assistant-gérant du magasin HMV que nous avons visité dans le cadre de notre enquête, Denis-Steve Giguère, dit ne pas voir souvent les enquêteurs de la RCQ et il se pose des questions sur la pertinence d’avoir une réglementation sur les âges si personne ne vérifie si la loi est respectée.

«On ne voit jamais les enquêteurs du gouvernement, affirme-t-il. Je me demande bien pourquoi il existe ces règlements reliés aux âges si le gouvernement ne les applique pas sur le terrain.»

Selon la porte-parole de la RCQ, le travail principal des enquêteurs est de d’assurer que le bon logo bleu sur lequel on peut voir à quel public le film est destiné est collé sur la pochette des bons films.

Mme Boisvert reconnaît aussi qu’il leur est impossible de vérifier si les différentes compagnies qui vendent des films par le biais d’Internet respectent la réglementation de la Régie sur la cotation des films.

«La vente par Internet, ce n’est pas contrôlable et elle ne fait pas partie de notre mandat», indique Mme Boisvert.

Même le directeur ignorait tout

Au Future Shop, on ne savait trop quoi faire quand le journaliste a voulu comprendre comment l’ado de 12 ans avait pu acheter deux films auxquels il n’avait pas droit dans leur établissement.

Dans les faits, personne ne semblait savoir chez Future Shop qu’il est interdit de vendre certaines catégories de films à des mineurs de moins de 16 ans.

À notre arrivée, un gérant a dit que nous devrions appeler le service des communications de Future Shop pour obtenir des réponses. Après avoir entendu une bonne vingtaine de minutes pour obtenir le numéro de téléphone de la maison mère, le gérant s’est présenté devant le journaliste en compagnie du directeur du magasin, Daniel Rancourt.

Après avoir répondu nerveusement à certaines questions, M. Rancourt a avoué qu’il n’était pas au courant qu’il était interdit de vendre certains films violents, d’horreur ou dotés de langage vulgaire à des mineurs âgés de moins de 16 ans en raison de la réglementation de la RCQ.

«Je sais que nous devons faire attention à la vente aux mineurs de certains jeux vidéo violents. Nos employés le savent et nous refusons souvent de vendre des jeux à des adolescents. Par contre, nous n’avons rien de spécifique pour les films.»

Hier, un cadre de la compagnie Future Shop a rappelé le journaliste pour donner la version de sa compagnie. «Je ne comprends pas pourquoi le directeur vous a dit qu’il n’y avait pas politique reliée aux films qui sont cotés en âge, car nous en avons une écrite noire sur blanc», avance Thierry Lopez, directeur du marketing au Québec pour Future Shop. «Chacune de nos caisses-enregistreuses est dotée d’un pup-up qui informe la caissière quand elle s’apprête à vendre un film cotés pour les 13, 16 et 18 ans et plus. Si l’employé a un doute sur l’âge de l’acheteur, il doit lui demander une pièce d’identité.»

«Il y a visiblement du travail de rappel à faire à ce magasin et pour ce directeur, et il sera fait, ajoute-t-il. Nous allons envoyer une directive à ce magasin et à tous ceux du Québec pour qu’une situation comme celle-là ne se reproduise plus.»