Pour son premier film, Yves-Christian Fournier a choisi d'aborder la question du suicide. Sujet lourd, complexe, tragique. Sujet qui le touchait de près, quatre de ses amis ayant mis fin à leurs jours - «deux pendus, deux gazés dans une voiture», comme il le dit crûment.

Pourquoi avoir choisi d'en parler? Parce que l'on en parle trop peu justement, en dehors de ces «trucs officiels» comme la Semaine de prévention du suicide qui vient de se terminer. Parce qu'il est anormal qu'un problème qui se règle par la communication soit tabou. «Beaucoup de spécialistes pensent que dès qu'on parle du suicide, on est dangereux. C'est faux! Ça dépend comment on en parle», dit, avec une certaine fébrilité, le réalisateur de 34 ans, rencontré la semaine dernière, à la veille de son départ pour le Festival international de Berlin, où Tout est parfait était présenté en première mondiale.

Tout est parfait, scénarisé par l'écrivain Guillaume Vigneault, nous fait suivre la quête de Josh, un adolescent dont quatre amis se sont enlevé la vie dans ce qui semble être un pacte de suicide. Sans tomber dans la fable morale, le réalisateur a pris soin de consulter des spécialistes pour s'assurer que son oeuvre ne donne à personne l'envie de se suicider. «Il n'était absolument pas question que j'aie la moindre goutte de sang sur les mains», dit-il.

À mille lieues de la vision romantique ou poétique du suicide, le réalisateur a choisi de filmer les suicides de manière hyperréaliste, sans artifices. On comprendra qu'Yves-Christian Fournier n'est pas de ceux qui croient que le silence respecté dans les médias à propos des suicides dans le métro, par exemple, soit justifié. «Si on disait la vérité, ça aurait plus de portée. N'importe qui voyant dans quel état se trouve une personne qui vient de sauter devant le métro y penserait à deux fois avant d'y aller.»

Il faut distinguer le moyen de la cause, dit-il. «Je trouve que les gens mêlent tout ça. Il y a une mauvaise foi très québécoise dans la manière d'aborder les choses des fois. On tire des drôles de conclusions. J'essaie de ne pas embarquer là-dedans. Je suis un amoureux de la vérité. Je trouve qu'on reste souvent en superficie pour se protéger de je-ne-sais-quoi. Mais on ne se protège de rien du tout.»

Pour éviter de rendre romantique le tragique, Yves-Christian Fournier a aussi choisi sciemment de montrer la peine incommensurable des parents endeuillés. «Beaucoup de gens qui songent à se suicider pensent qu'ils vont vraiment juste faire du bien au monde en s'en allant, observe-t-il. Ce qui n'est vraiment pas le cas.»

Pour Yves-Christian Fournier, ce premier long métrage, c'est un rêve qui se réalise. Un troisième, en fait. Le premier rêve de ce petit gars de Québec, grand fan des Cités d'or et des Grands Explorateurs où l'emmenait son papa fonctionnaire, c'était de faire la Course destination monde. Le deuxième, c'était d'avoir des enfants - il en a deux. Et le troisième, de réaliser un long métrage. Tout est parfait... Ou presque. «Si j'avais un dernier rêve, ce serait d'être à une époque d'or que les gens vont reconnaître», dit-il, en faisant allusion à la génération montante de jeunes cinéastes québécois.

Avant de tomber dans la marmite du cinéma, Yves-Christian Fournier s'imaginait devenir avocat. Il a été admis en droit en même temps qu'en cinéma et communication à l'UQAM. Les deux lettres d'acceptation en main, il a fermé les yeux. «Ça n'a pas pris une seconde, le coeur a choisi.»

Il n'avait jamais touché à une caméra. Il n'avait jamais écouté de films. Et voilà qu'il se retrouvait dans la même pièce que Jean-Claude Lauzon et Pierre Bourgault, sans même savoir qui ils étaient... «En quelques années, j'ai consommé tellement de films que je me suis rattrapé. Mais à l'époque, je me défendais stupidement en disant que je gardais mon style épuré pour trouver la réelle expression personnelle sans corruption. Ce qui était juste un moyen de défense pour expliquer ce que je foutais là!» raconte-t-il en riant.

Après son baccalauréat, Yves-Christian Fournier a fait la Course destination monde. Une expérience qui a changé sa vie du tout au tout et lui a donné le goût du documentaire. «Je n'avais jamais voyagé avant de faire la Course. Il s'est passé un déclic hallucinant. Après une semaine, je me suis fait mettre en prison en Tanzanie. Je suis devenu vraiment habile en logistique de voyage pour avoir des permissions de tourner dans des léproseries ou d'autres endroits déments.»

Son expérience comme réserviste dans l'armée pendant quatre ans lui a alors servi, dit-il. L'armée, vraiment? «Oui, oui. Je me faisais renvoyer de toutes les écoles secondaires où j'allais et j'avais besoin de bien gérer mon rapport à l'autorité. C'était ça ou le centre d'accueil. J'ai pris ça pour me protéger de moi. Mais c'était pire que le centre d'accueil!»

Il n'est pas revenu tout à fait indemne de la Course destination monde. Aller en zones de guerre, voir des cadavres, être aux premières loges de l'horreur, disons que ça marque... «J'ai tenu la main d'un enfant de quatre mois qui mourait du sida. Ces choses-là te transforment, te fortifient aussi.»

Une école de vie, la Course? «Je ne sais pas. Je suis revenu de là, j'étais fucké en tabarouette!»

Après la Course, Yves-Christian Fournier a fait du court métrage et travaillé sur un documentaire réalisé par Martin Fournier avec Robert Lepage, qu'il a accompagné à Venise et à Toronto. Une rencontre exceptionnelle et inspirante, dit-il.

Sa carrière de publicitaire a démarré par la suite. Six années de pur bonheur, où il a eu la chance de beaucoup voyager. Rejetant les «préjugés très faciles» sur la publicité, il n'est pas de ceux qui croient qu'on ne peut pas faire à la fois des pubs de bière et du cinéma. La pub est une «belle école», dont il ne nie pas l'influence sur son oeuvre. «Pour moi, le plaisir en publicité, c'est l'exploration de mon art. Il ne faut pas se leurrer. N'importe quel réalisateur fait de la publicité, à moins que la publicité ne l'ait pas désiré ou l'ait rejeté.»

Condescendant, Yves-Christian Fournier? La dernière chose qu'il souhaite, c'est de passer pour tel. «Les gens pensent à tort que je suis au-dessus de mes affaires parce que je suis juste confiant, mais ça n'a rien à voir!»

Et puis, la confiance n'exclut pas le doute, toujours essentiel, observe-t-il. «Si ce que l'on fait ne nous fait pas peur, ça ne vaut pas la peine de le faire. Ça me rassure d'avoir des doutes quand je fais quelque chose.»

Que le doute lui donne confiance ou que la confiance le fasse douter, peu importe. Après avoir vu Tout est parfait, on n'a aucun doute sur son immense talent.