Standard Operating Procedures, consacré au scandale des sévices commis par l'armée américaine à la prison irakienne d'Abou Ghraïb, donne la parole aux soldats impliqués, les seuls à avoir été jugés pour des crimes encouragés, selon eux, par leur hiérarchie.

Premier documentaire jamais admis en compétition à la Berlinale, ce film est signé par l'Américain Errol Morris, qui a reçu un Oscar en 2003 pour The Fog of War - aussi présenté hors compétition à Cannes - où l'ex-secrétaire américain à la Défense, Robert McNamara, commentait l'histoire du XXe siècle.

Errol Morris a aussi consacré son film Une brève histoire du temps à la vie et aux travaux de l'astrophysicien Stephen Hawking, cloué dans un fauteuil roulant à la suite d'une maladie dégénérative incurable.

Cette fois, il a enquêté pendant deux ans à partir des clichés pris à la prison irakienne d'Abou Ghraïb, qui ont fait scandale en 2004: celles de détenus irakiens nus, humiliés et maltraités par leurs gardiens américains.

??ce jour, seuls onze soldats ont été jugés et condamnés à des peines allant de quelques heures de travaux d'intérêt général à dix ans de prison.

Si un officier s'est vu infliger une simple réprimande, aucun des hauts responsables de l'armée n'a été poursuivi après ce que le président George W. Bush a qualifié de «plus grosse erreur» des États-Unis en Irak.

L'Américain Errol Morris a voulu donner la parole aux «quelques pommes pourries» responsables des faits, selon la version officielle délivrée par le secrétaire à la Défense de l'époque, Donald Rumsfeld.

Face à la caméra, cadrés de près sur un sobre fond gris, trois femmes et six hommes donnent leur version, radicalement différente.

Ils racontent avoir été sous pression pour soutirer des informations aux  terroristes présumés amenés de tout le pays en hélicoptère ou en camion «comme du bétail» à Abou Ghraïb, devenu fin 2003 le «centre d'interrogatoires» d'Irak.

Une affirmation confirmée par la responsable de la prison - démise de ses fonctions et rétrogradée depuis - Janis Karpinski, selon laquelle la hiérarchie de l'armée exigeait la capture de l'ex-président irakien, Saddam Hussein.

Alors à peine âgée de 20 ans, Lynndie England - condamnée à trois ans de prison en 2005 - apparaît souriante sur des clichés de détenus nus, entravés, menacés par des chiens, contraints de se masturber ou empilés comme des objets.

L'air inexpressif sous ses cheveux noirs coupés au carré, elle dit avoir été manipulée par celui dont elle était amoureuse : Charles Graner, 34 ans, le plus lourdement condamné, mais que le réalisateur n'a pu rencontrer.

Dans l'armée, les femmes doivent «en faire autant que les hommes ou alors accepter leur loi», se justifie Lynndie England.

Une autre femme, Sabrina Harman, a relaté au fil de ses lettres, filmées et lues en voix off dans le film, «toute les saloperies» commises à la prison.

Les autres affirment avoir appliqué les procédures en vigueur dans les prisons (standard operating procedures), et se justifient mollement.

«Je suis un bon garçon, je ne voulais contrarier personne», dit l'un.

Pragmatique, un autre affirme : «Il n'y aurait jamais eu de scandale s'il n'y avait pas eu de photographies. Vous savez, des tas de gens sont morts sous la torture là-bas et il n'y a pas de photographies!»

Standard Operating Procedures illustre aussi de façon saisissante la «banalité du mal», la capacité pour les personnes les plus ordinaires, à agir de façon inhumaine, décrite par la philosophe Hannah Arendt.

Mais celle-ci décrivait ce comportement comme le produit d'un régime totalitaire: le film le montre bien ancré dans une démocratie.