Le film français d'animation Persépolis, contant les tribulations de son auteur dans l'Iran de la Révolution islamique et violemment critiqué par les autorités, vient de bénéficier d'une rare projection à Téhéran.

Environ 70 personnes se sont serrées dans la petite salle d'un centre culturel jeudi. C'était la deuxième occasion, après une projection identique deux jours auparavant, et peut-être la dernière, pour une poignée d'Iraniens de voir le film légalement et publiquement.
   
«Quand un film n'est pas montré, les gens s'imaginent toute sorte de choses», a indiqué le responsable du centre culturel pour justifier sa présentation, en jugeant que le cinéma «ne doit pas être placé dans un contexte politique restreint».
   
Nommé pour les Oscars 2008, le film a été condamné par le gouvernement du président Mahmoud Ahmadinejad comme «islamophobe» et «anti-iranien», ce qui rend presque nulles ses chances d'être autorisé en Iran.
   
La salle n'en a pas moins ri aux éclats en suivant les tribulations de Marjane Satrapi, dont l'intérêt pour la musique rock, les vêtements occidentaux et les garçons s'accorde mal aux canons de la police morale de l'époque.
   
Le film, projeté à partir d'une copie de DVD sous-titré en persan, a été censuré de plusieurs scènes à contenu sexuel afin d'obtenir le feu vert des autorités culturelles pour cette projection.
   
«J'ai beaucoup aimé. C'est très bien fait et montre bien à quel point l'Iran était une société fermée à l'époque» de la révolution de 1979, a dit Zahra Jahani, 20 ans, une étudiante en architecture.
   
Mehdi Ghamaïe, 21 ans, étudiant en comptabilité, a partagé ce jugement, en remarquant que le film «pourrait être contre le gouvernement, mais n'est certainement pas anti-iranien».
   
Tout le monde n'était pas si enthousiaste. Pour Mohsen Sahaf, 27 ans, «l'histoire est très bien dite mais on ne peut pas accepter tout ce qu'elle raconte».
   
Persépolis, qui a gagné un prix du jury ex-aequo au Festival de Cannes 2007, est tiré de la bande dessinée éponyme de la Franco-Iranienne Marjane Satrapi.
   
Le film, qu'elle a co-réalisé avec Vincent Paronnaud, montre la répression sous le régime du Shah mais aussi le musellement social, les arrestations et exécutions qui suivirent la Révolution islamique menée par l'ayatollah Rouhollah Khomeiny.
   
La nature rebelle de l'héroïne et ses ennuis avec les autorités la forcent à quitter temporairement son pays pour l'Autriche, puis à partir en France pour ne jamais rentrer en Iran.
   
Le grand critique iranien de cinéma, Hossein Moazzezinia, a loué, dans un débat qui a fait suite à la projection, les qualités techniques et d'écriture du film mais a déploré une vision «partiale» de l'époque.
   
«Satrapi a été sélective dans sa narration. Elle a omis certains faits qui rendent son film à certains moments peu fiable et malhonnête», selon lui.
   
«On ne peut ignorer le fait que des millions de gens ont soutenu l'imam (Khomeiny). Il n'est pas vrai (de dire) que la Révolution a été prise en otage par une minorité», a-t-il affirmé.
   
Le centre culturel qui a montré le film fait partie d'une dizaine d'endroits de ce type détenus par la municipalité.
   
Promus par l'ancien maire modéré Gholam Hossein Karbaschi, ils accueillaient dans les années 1990 de nombreuses projections ou lectures de nouvelles oeuvres.
   
Leur activité s'est depuis considérablement ralentie, même s'ils restent l'un des rares foyers d'activité culturelle dans la capitale.
   
Le film, dont une éventuelle diffusion serait soumise à l'accord du ministère de la Culture et de la guidance islamique, est disponible sur le marché noir, pour environ deux dollars.
   
Persépolis, sorti en Europe en 2007, a été le deuxième film accusé d'être anti-iranien par les autorités, après 300, un péplum américain sur une guerre opposant Grecs et Perses.